La Peur, à l’école du maître chanteur

De Stefan Zweig, adapté et mis en scène par Elodie Menant, avec Hélène Degy, Aliocha Itovich et Ophélie Marsaud.

Du 7 octobre au 31 décembre 2016 à 19h au Théâtre Michel

Depuis le 7 octobre – et jusqu’au 31 décembre -, le Théâtre Michel accueille la pièce de théâtre La Peur, adaptée de la nouvelle du même nom écrite par Stefan Zweig et parue en 1920. Un écrivain qui fût très prolifique et dont le nom est, étonnement, resté assez méconnu dans nos contrées. Et même si l’homme s’adonna à l’écriture de tragédies théâtrales, c’est davantage ses romans et ses nouvelles qui feront de lui une référence de la littérature austro-hongroise et de manière plus large, de la littérature germanique.

La Peur nous emmène au beau milieu d’un ménage, celui d’Irène et de Fritz Wagner. Elle, femme au foyer, lui, avocat au pénal. Alors que ce dernier rentre fréquemment exténué du travail et ne semble être inquiet que de ses dossiers, elle se morfond à longueur de journée, tuant son ennui et le dédain de son mari en fréquentant un autre homme. Mais alors qu’elle sort de chez son amant, une femme l’interpelle et la menace de tout dévoiler à son mari. En échange de son silence, Irène lui offre de l’argent. Mais la mystérieuse femme revient sans cesse à la charge et Irène se sent peu à peu piégée par son mensonge.

Pour contextualiser cette pièce, il faut s’affranchir du temps présent et se replonger l’espace d’une heure dans l’Europe du début du XXème siècle. Cette Europe figée dans la tradition et dans ses coutumes, comme en Autriche-Hongrie où l’empereur François-Joseph Ier règne sans partage depuis plus de soixante ans. Par extension, la société que nous laisse entrevoir La Peur est tout aussi figée. La place d’Irène, cette femme ayant argent et abondance, n’est au final que celle d’une femme dévouée à son mari, sans réelle autre ambition que de lui être fidèle.

C’est sur cette fausse liberté de la femme, sur la peur du mari et du regard de la société, que se construit le drame noir de Stefan Zweig. De son absence d’épanouissement à son hystérie affranchissante, Irène passe par toutes les étapes de la culpabilité et du mensonge, si bien que le spectateur voit crescendo venir l’inéluctable. Jusqu’où ira le harcèlement ? Jusqu’où ira Irène dans son mensonge ? Jusqu’où ira Fritz dans son déni ? Autant de questions qui trouvent leur réponse dans l’épilogue de la pièce, au passage un peu décevant.

Néanmoins, pour ne parler que de l’adaptation et de la mise en scène d’Elodie Menant, la pièce est agréable à suivre et la tension qu’avait su insuffler Zweig est diaboliquement bien retranscrite. Du jeu d’acteurs, on retiendra un Aliocha Itovich (Fritz Wagner) époustouflant de maîtrise et de maturité scénique, et une Hélène Degy transcendée par la descente aux enfers de son personnage.

Toutefois, on émettra un petit bémol quant au décor mis en place. Si l’aspect minimaliste de celui-ci n’est en aucun cas dérangeant, le fait d’autoriser les acteurs à jouer avec, à le tourner, à le torturer et à le scinder, lui confère un statut de personnage du récit à part entière. Personnage qui est alors délaissé dans sa troisième partie, provoquant un flou spatio-temporel qui n’est pas vraiment utile à symboliser la folie d’Irène.

En résumé, le classicisme de La Peur fait renaître l’une des plus belles essences du théâtre : son intemporalité. De même, cette pièce nous permet de voyager dans une Vienne où jadis, les « meistersinger » ou maîtres-chanteurs y apprenaient leur métier.

A propos Matthieu Matthys 919 Articles
Directeur de publication - responsable cinéma et littérature du Suricate Magazine.