Titre : La nourrice de Francis Bacon
Auteur.ice : Maylis Besserie
Edition: Folio
Date de parution : 16 janvier 2025
Genre du livre : Roman
Dans ce roman biographique, Maylis Besserie retrace la vie du peintre britannique Francis Bacon (1909-1992) par un biais original, celui de sa nourrice, Jessie Lightfoot. Cette dernière est entrée au service des Bacon en 1911, alors qu’ils vivaient dans le comté de Kildare en Irlande. Britannique et protestante comme ses employeurs, toute la maisonnée doit subir les regards réprobateurs des Irlandais catholiques. La petite histoire s’invite déjà dans la grande. Malgré cela, au sein de la famille, l’apaisement n’est pas pour autant présent. Tous vivent sous la coupe tyrannique du père de famille, Edward. L’homme cruel dénigre ses fils, les frappe et les humilie quotidiennement. Son souffre-douleur préféré est sans conteste le jeune Francis, qu’il hait par-dessus tout du fait de son homosexualité
La narratrice, l’inénarrable Nanny, a toujours pris l’enfant sous son aile. Elle quittera d’ailleurs la famille pour le suivre à Londres puis en France. Au fil des années, elle racontera leurs galères de logement et de moyens de subsistance, leurs voyages, l’éveil naissant du jeune homme à la peinture, ses rencontres d’un soir ou d’une vie, ses abus en tous genres, son alcoolisme et son goût pour les personnalités extrêmes. Quant à l’œuvre du peintre, Maylis Besserie fait intervenir Francis Bacon lui-même dans de très courts chapitres pour commenter et décrire ses propres tableaux. Procédé intéressant qui nous pousse à scruter ses œuvres sur le net, en parallèle à notre lecture. A travers ce parcours haut en couleurs, on comprend un peu mieux les toiles incomparablement torturées d’un homme qui l’était tout autant.
L’originalité du livre réside dans le fait de donner la parole à Nanny, une femme à la gouaille impayable, qui rend le récit plus amusant et qui minimise les épisodes les plus dramatiques de la vie de l’artiste, grâce au recul dont elle bénéficie. A l’inverse, quand la parole est donnée à Francis Bacon, le style de Maylis Besserie est transcendé : grave, sombre et poétique. On reste bouche bée face à cette polyvalence stylistique.
L’authentique Jessie Lightfoot semble avoir été une joueuse invétérée qui choisissait les amants de Bacon quand il se prostituait et pratiquait fréquemment le vol à l’étalage. Maylis Besserie a confié avoir aimé la dualité de cette femme qui dispensait au jeune Francis une éducation stricte tout en ayant certains travers. Cependant, dans le roman elle a davantage mis l’accent sur la facette maternelle et protectrice de Nanny, dont les aspects les moins nobles passent presque inaperçus. Un choix très respectable.
Face aux deux protagonistes, une constatation s’impose à nous : on apprécie Nanny de toutes nos tripes. Cette femme à l’ouverture d’esprit étonnante, qui s’amuse du simulacre de ménage à trois qu’elle pouvait former avec Francis et son amant du moment, semble nous parler en bonne copine entre deux tasses de café. Cependant, nous restons partagés sur le personnage de Francis. Il nous paraît à la fois vulnérable sous le regard de son père plein de haine ou de ses pairs très moqueurs à ses débuts, et parfois extrêmement ingrat envers les quelques mécènes-amants dont il s’est détourné une fois l’intérêt passé pour trouver d’autres bras. Mais cette ambivalence est à l’image de l’œuvre de Bacon : difficile au premier abord et fascinante quand on prend la peine de s’y intéresser.