La cabane d’Alexandra Kollontaï : tableau vivant des paradoxes de l’amour libre

© Gaël Maleux

De et mise en scène de Christine Delmotte-Weber. Avec Maximilien Delmelle, Sarah Joseph, Sarah Messens. Du 10 janvier au 28 janvier 2023 au Théâtre des Martyrs.

La pièce s’ouvre sur une rencontre entre deux jeunes femmes, Alix et Julia. Leur propos et leur geste sont légèrement maladroits, ce qui insuffle de la tendresse à ce premier échange, dont d’autres suivront comme on le comprend par la suite. Julia est en fait amoureuse de Samuel avec qui elle forme un couple libre, avec Alix c’est juste du sexe. Julia aime cloisonner les relations, au contraire de son compagnon qui fait l’éloge du polyamour et rêve de modeler un empire affectif à l’image de ses idéaux.

Allant contre sa nature monogame, la protagoniste décide de présenter ses deux amants dans un espace retiré où Samuel peut laisser son esprit libre s’exprime : La cabane. Ce lieu de réflexion, semble échapper aux affres de la jalousie et définir le laboratoire sanctuaire du seul personnage masculin directement inspiré de la lecture de Marielle Macé, Nos Cabanes, qui décrit ces constructions comme une pratique pour braver le monde. Teintée du sarcasme d’Alix, leurs échanges se font de plus en plus fluides laissant place à ce qui paraît être une idylle à trois. Mais l’amour est plus compliqué que cela, et c’est de ces complications que le leitmotiv de la pièce se tisse : les désaccords internes qui se positionnent entre notre conception idéale de la vie conjugale et nos pulsions égotiques et possessives ponctuent le scrip. L’attirance d’Alix et de Samuel et la jalousie de Julia vient bien vite éclater le trio amoureux.

Les interventions d’Alexandra Kollontaï sur le plateau forment un espace-temps intermédiaire où le théâtre d’objet permet un glissement narratif du présent vers le passé et de la réalité quotidienne au monde onirique. La marionnette du rapace ludique et poétique, violente l’ordre temporel pour passer d’une époque à une autre. Cet anachronisme marque des temps de pause dans l’histoire contemporaine des protagonistes. Les saynètes viennent nourrir les questionnements contemporains d’une veine philosophique qui marque une dialogique entre présent et passé et souligne par-là que les questionnements existentiels sont semblables concernant la codification des rapports amoureux. Alexandra Kollontaï  est la première femme polyamoureuse, elle désirait s’émanciper de la morale bourgeoise, pourtant on note que ce genre de mode de fonctionnement apparait principalement dans des milieux privilégiés et peu dans les classes populaires à l’heure actuelle. Un nouveau système de pensée qui tente de circonscrire la captativité de la monogamie, mais qui parfois pousse l’expérimentation à chosifier la sexualité comme Alix le fait remarquer à Julia : “je ne suis pas un t-shirt ».

Là où la mort rassemble les vivants, c’est la maladie de Julia qui vient reformer le groupe, non pas sur un lit nuptial, mais un sur un lit d’hôpital. C’est avec émotion et légèreté qu’elle se fait euthanasier, mettant une fois de plus en lumière l’importance du libre-arbitre dans la trajectoire d’une vie, qu’il s’agisse d’amour ou de décès. Grâce à un décor sobre et efficace – signé Anaëlle Impe -, un texte limpide et trois comédiens aux traits de personnalité bien définis, la metteuse en scène arrive à cerner des enjeux actuels et vient titiller les paradoxes de l’humain quand il s’agit de transposer ses théories sur l’amour libre dans la pratique. Tableau vivant teintée d’humour et de tendresse, cette vision rafraîchissante et bienveillante de l’amour perlera à grand nombre d’entre nous.