« Juste avant d’éteindre », l’histoire d’un destin en lambeaux

Titre : Juste avant d’éteindre
Auteur : Hélios Azoulay
Editions : Éditions du Rocher
Date de parution : 25 août 2021
Genre : Roman

Après L’enfer a aussi son orchestre, un ouvrage sur les musiques composées dans le cauchemar des camps nazis, Hélios Azoulay revient sur la thématique avec un roman intitulé Juste avant d’éteindre, dont les pages racontent le destin d’un musicien juif qui se réfugie dans l’écriture pour fuir la réalité cauchemardesque de la déportation.

Juste avant d’éteindre est un court roman narrant l’histoire d’un compositeur juif pendant la deuxième guerre mondiale. La première partie du livre décrit l’arrivée dans un ghetto du narrateur anonyme, l’étoile jaune collée à sa poitrine. Impuissant, il se voit confisquer sa valise, remplie de ses partitions représentant sa vie passée. Il lui est alors impossible de composer de la musique. À la place, il se met à écrire. Il prend note des choses qu’il voit et crée Le Journal de mes yeux. Ces notes manuscrites sont en quelque sorte « des photos sans appareil photo » et une façon pour lui de ne pas sombrer complètement face à son destin tragique. Dans son récit fragmenté viennent s’insérer des souvenirs d’une vie qui n’est plus, qui lui permettent, l’espace d’un instant, de s’éloigner de la brutalité du présent. Alors qu’il s’enfuit du ghetto, il fait une drôle de rencontre : une vieille dame et son chien, chez qui il se réfugie pour une tasse de chocolat. La rencontre prend une autre tournure lorsque le compositeur regarde de plus près les tableaux horribles peints de la main du petit-fils de la vieille dame : ils sont signés A.Hiter. Capturé, le narrateur nous emmène alors dans les derniers jours de sa vie… La seconde partie du livre, intitulée Le Journal de mes yeux, restitue les notes fragmentées du compositeur déporté, décrivant de courtes scènes de son quotidien ou une pensée furtive.

Du roman d’Hélios Azoulay se dégage une écriture profonde et puissante, où chaque mot semble choisi soigneusement sans laisser place au hasard. Le style d’écriture dégage une certaine musicalité qui rend la lecture fascinante. À la fois directe et poétique, la plume de l’auteur est mise au service d’une atmosphère intense, où s’invite misère, souffrance, faim, peur, délire et, finalement, la mort.

« Un matin, j’avais fait remarquer à Papa que quand on pleure, les larmes partent de l’œil, font un petit arc de cercle, et finissent sur la commissure des lèvres. Et que c’est drôle d’imaginer que les larmes arrosent pile l’endroit précis de la bouche qui sert à sourire. »

Le style choisi par l’auteur vient renforcer cette atmosphère et augmente la tension dans la lecture. Au fil des pages, le récit se fragmente, les phrases se coupent, se superposent, comme le destin du narrateur qui se déchire peu à peu. Mais au-delà d’un récit commun sur la période nazie et la déportation, le roman d’Hélios Azoulay offre une approche originale par le ton à la fois cynique et burlesque de sa plume. L’absurde de certaines scènes et l’humour viennent se combiner à l’horreur de la situation et confèrent au texte une dimension hors du commun.

La plume de l’auteur ravira donc les amateurs de beaux mots, mais le style parfois absurde et fragmenté pourra décontenancer d’autres lecteurs, qui auront alors plus de mal à apprécier le texte. La deuxième partie dédiée au Journal de mes yeux est particulièrement plus compliquée à comprendre, puisque les notes manuscrites s’enchaînent telles qu’on les lirait en dehors du papier, sans ponctuation, sans fil conducteur, les scènes juxtaposées les unes aux autres. La musicalité et la beauté de certaines tournures de phrases valent cependant l’effort, quitte à se perdre de temps en temps dans la prose presque poétique de l’auteur.