Interview de Steve Hackett

Ce n’est pas tous les jours qu’on a l’occasion d’interviewer une légende vivante de la guitare et c’est donc avec un certain trac que je me rend à l’hôtel où séjourne Steve Hackett.

Celui-ci était de passage à Bruxelles à l’occasion de sa tournée Genesis Extended tour et c’était donc  l’occasion rêvée pour  l’interroger au sujet de cette tournée, de son album de reprises de Genesis, Genesis Revisited 2, et de l’album live l’accompagnant.

Après m’avoir confié que c’était la première fois qu’il avait le temps de visiter Bruxelles, nous passons à l’interview proprement dites que voici :

Tout d’abord, parlons du grand succès de votre dernier album, Genesis Revisited part 2 et de votre tournée actuelle. Est-ce que vous vous attendiez à un tel succès? Quel est votre sentiment à ce sujet?

Je ne savais pas si cela allait être un grand succès ou pas. Je pensais bien que ça allait être un succès en terme personnel, dans le sens où j’ai vraiment apprécié, en compagnie de pas mal de gens, d’enregistrer et de réorchestrer avec plus de détails ces différents morceaux. L’album est sorti et cela s’est très bien passé dans pas mal de pays, tout particulièrement en Allemagne où il a reçu beaucoup de promotion à la télévision.

La nuit dernière, nous étions à Paris, où nous avons joué sold-out, ce qui est merveilleux. Je sens qu’il y a encore beaucoup d’intérêt pour les classiques de Genesis de cette époque. Et vous savez, cette musique est encore dans mon cœur, donc je suis vraiment très content de ce succès.

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Votre démarche de refaire un album de « reprises » de Genesis était une démarche personnelle ou faisait plutôt suite à une demande des fans du groupe?

Cela fait très longtemps que les fans me demandent de reformer Genesis et j’ai toujours dit OK. Mais je ne suis pas seul et il faut que les autres membres du groupe disent oui également. Évidemment, nous en avons parlé avec les 4 autres membres mais tout le monde était occupé avec sa propre carrière personnelle donc cela ne s’est pas fait.

Comment avez-vous choisi les différentes chansons qui composent vos deux albums Genesis Revisited?

Cela fait 43 ans que j’ai la chance de discuter avec les fans du groupe, et cela m’a permis de savoir ce qu’ils appréciaient dans le groupe et dans sa musique, c’est  le fruit d’une recherche de toute une vie. Le choix s’est donc fait naturellement, mais j’ai aussi choisi les chansons  que je sentais qui passeraient le mieux en concert car je préparais déjà également un live show.

( Ndlr : Steve parle plutôt maintenant des chansons qu’il reprend sur cette tournée )

Pour répondre aux demandes des fans, nous avons également inclus The Return of the Giant Hogweed, Supper’s Ready évidemment  et The Musical Box qui est une des chansons préférées des fans. Les gens ont également commencé à demander  pour The Knife , qui avait été écrite avant que je ne rejoigne le groupe. Mais comme j’avais enregistré à l’époque un album live avec celle-ci, je me suis dit:  » Ok, voyons voir si le groupe veut l’apprendre et la jouer sur cette tournée ». Ce que le public a beaucoup apprécié d’ailleurs.

J’ai vraiment apprécié Genesis Revisited 2. Comment avez-vous procédé pour réenregistrer et réarranger ces classiques? Je suppose que ce ne fut pas un travail facile?

Non en effet ce ne fut pas un travail facile.  Tout d’abord, j’ai cherché plusieurs chanteurs pour l’enregistrement avec l’idée de trouver également quelqu’un qui pourrait être le chanteur principal. C’est un promoteur allemand qui m’a recommandé Nad Sylvan. J’ai regardé ce qu’il faisait sur Youtube et j’ai pu entendre une version de The Chambers of 32 Doors. Je me suis dit alors que c’était intéressant, que ça sonnait vraiment bien. Sa voix me semblait très bien coller aux morceaux de Genesis.

Mais vous me demandiez plutôt comment j’ai travaillé pour faire l’album.

En premier, Roger King et moi-même avons réalisé plusieurs démos via ordinateur. A l’époque de Genesis, nous n’enregistrions  pas à l’aide d’un métronome. Le rythme des chansons était très libre, les tempos se succédaient les uns après les autres. On peut particulièrement l’entendre sur une chanson comme Dance on A Volcano.

Mais, quand vous faites des démos sur ordinateur, ce que vous voulez faire c’est prendre la vitesse moyenne de la chanson comme point de référence. Vous faites écouter cette démo aux autres membres du groupe  et vous leur faites écouter la version originale de la chanson également. Vous remplacez ensuite les sons de la démos par du « vrai » son, avec de véritables humains (rires). C’est la façon dont nous avons procédé. Je trouvais ça plus facile de travailler avec des démos, parce que quand tu écris une chanson, elle se développe avec le temps. Dans les années 70, j’apprenais à mon groupe les chansons, et on les améliorait en répétition. Mais, sauf si ton idée est bien claire dans ton esprit, cela peut prendre beaucoup de temps. Tandis que si tu travailles avec une petite équipe, à deux dans notre cas, tu fais ta démo et tu l’améliores ensuite. C’est la façon dont je travaille, c’est donc très différent si tu es un groupe ou un artiste solo.

En enregistrant l’album et en préparant votre tournée, avez-vous redécouvert certaines vieilles chansons moins connues, ou que vous aviez un peu oubliées ?

Oui par exemple, lors de cette tournée, nous avons inclus The Knife et Squonk de l’album A Trick of the Tail, et Lilywhite lilith du The Lamb lies Down on Broadway, parce que Ned aimait la chanson. Il voulait vraiment la chanter, donc je lui ai dit: « Ok, jouons-la » .Il y a pas mal d’année, lorsque j’ai rejoint Genesis nous l’interprétions déjà mais avec des paroles différentes.

Il y a eu également The Return of the Giant Hogweed , ainsi que The Knife comme je l’ai déjà dit , mais aussi The Fountain of Salmacis . En fait, nous aurions pu jouer encore plus d’anciennes chansons mais si nous devions interpréter tout ce que l’on voulait et et qu’on connaissait, nous aurions dû jouer plus de trois heures.

Je pense que les fans seraient contents d’un si long set

Oui, mais le groupe serait un peu fatigué ( rires). Nous jouons déjà deux heures trente et c’est déjà pas mal.

Tout se passe donc très bien pour vous, mais avez-vous tout de même reçu certaines mauvaises critiques sur votre travail?

Pour le moment je n’ai pas vraiment reçu de mauvaises critiques parce que la plupart des gens ne se préoccupent pas de ce qui ne les intéresse pas. Et pour ce réenregistrement, je savais que ce serait principalement les vrais amateurs du groupe qui seraient intéressés par ce disque. Je m’en fiche un peu des mauvaises critiques. A chaque fois que j’en ai reçu, c’était de quelqu’un qui venait au concert en préférant le punk à la musique progressive. Le genre de personnes qui se cantonnent dans un style plutôt que d’en écouter plusieurs. Je peux comprendre cela, mais par contre, si vous voulez entendre de la musique de qualité, avec un peu de poésie, une musique mélangeant plusieurs styles et genres, je pense que Genesis est un bon exemple de ce style.

Vous avez collaboré avec beaucoup de grands artistes sur cet album ( Neal Morse, Simon Collins, ,Mickael Akerfeldt ).

Comment les avez-vous choisi? Est-ce que ce sont des amis ?

Avec certains, la plupart même, nous étions déjà amis avant. Pour certains autres, comme Mikael Akerfeldt, j’avais juste écouté leurs disques. Je l’avais entendu chanter avec Steven Wilson et j’avais trouvé qu’il avait une superbe voix. En fait, j’avais l’idée que si nous avions beaucoup de chanteurs différents , il n’y aurait pas de pression sur eux. Ils ne se sentiraient pas obligés de faire mieux que Peter Gabriel ou Phil Collins. Quand tu fais un album avec un autre chanteur, il y a toujours des comparaisons. Regarde les difficultés qu’a eu Ray Wilson, qui a pourtant une grande voix, d’être comparé avec les géants que sont Gabriel ou Collins. C’est très difficile et intimidant, même pour un chanteur bien connu, ils sentent qu’ils pourraient peut-être ne pas être capable d’y arriver.

Les chanteurs présents sur l’album ont-ils plutôt essayé de chanter comme Gabriel ou Collins ou d’avoir leur propre style?

Je crois que certaines personnes auraient pu avoir peur de ne pas y arriver, mais ceux avec qui j’ai travaillé sur cet album n’ont pas eu ce problème de confiance. Ce ne sont pas des gens compliqués. Ils travaillent avec moi, je travaille avec  eux, nous fonctionnons à l’échange. Ils me font une faveur, je leur en fais une, et nous nous rétribuons chacun l’un l’autre de cette façon. C’est une bonne façon de travailleur.  Je n’ai pas gagné d’argent en travaillant pour d’autres musiciens depuis 20 ans. Peut-être que si Les Rolling Stones m’appelaient pour jouer de la guitare pour eux, je pense qu’ils auraient de l’argent pour que je joue avec eux. Ils ne m’ont pas encore appelé mais bon, il est encore temps ( rires)

Parlons un peu de l’album live sorti entre vos deux tournées mondiales. Est-ce que ça a été facile de l’enregistrer et êtes-vous satisfait du résultat final?

Je pense que l’album sonne vraiment très bien, le son est excellent, la production, le chant et les chansons le sont également. C’est finalement une chance de pouvoir faire les choses plus parfaitement que je le faisais il y a quelques années. J’aurais voulu être capable de jouer aussi bien que maintenant sur la version originale de The Chambers of 32  Doors, d’utiliser le vibrato comme je le fais actuellement.

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C’est vrai que j’ai entendu pas mal de voix dire que vous jouiez mieux maintenant que dans le passé, avec plus de feeling.  Vous vous sentez peut-être plus libre en faisant les choses comme vous le voulez, et cela se ressent sur l’album live.

Oui je pense que mon jeu s’améliore au fur et à mesure des albums. Je découvre de plus en plus de choses, je trouve de nouveaux équipements, qui me procurent un très bon son. J’ai trouvé récemment un treble booster et cela fait sonner formidablement bien ma guitare. La combinaison entre ce treble booster et la distorsion est fantastique, vraiment. Je n’utilise pas d’ampli pour enregistrer la plupart du temps. Pour le Genesis Revisited album, il n’y a pas d’ampli, je suis relié directement à l’ordinateur et j’utilise juste des pédales et un programme de simulation d’ampli.

Je suis étonné, je pensais que vous utilisiez un véritable ampli, je n’ai pas entendu la différence.

Moi non plus je ne peux entendre la différence. Cela sonne comme un bon enregistrement , une guitare bien bruyante. Mais ici ce n’est pas bruyant, il n’y a pas de tyrannie du son, je ne dois pas jouer le plus fort possible pour avoir un superbe son.

A propos de guitare, pour les jeunes guitaristes qui liraient notre interview, avez-vous des petits trucs, des conseils pour eux?

Le meilleur conseil est d’aimer jouer de la guitare, d’aimer chaque note, c’est le seul moyen d’avancer. Je me suis énormément entrainé avec le vibrato. Cela m’a pris des années pour pouvoir le maitriser, parvenir à maitriser mes doigts pour cela. J’ai toujours admiré les gens qui y arrivaient. Ce n’est pas la même chose que le tremolo, que j’utilise parfois aussi. Il y a quelque chose de fort quand tu es capable de sortir ce son avec tes doigts, cela sonne très humain je trouve.

Comme si on faisait pleurer sa guitare?

Oui c’est exactement ça, faire pleurer sa guitare , c’est vraiment important.

Genesis a toujours eu une relation spéciale avec la Belgique. Le premier concert du groupe en dehors de son pays d’origine était à Bruxelles. Vous souvenez-vous de ce concert? Est-ce un bon souvenir?

Oui je m’en souviens et c’est en effet un bon souvenir. Je me souviens de cet home Piero (Ndlr Il s’agit de Piero Kenrol, célèbre journaliste rock belge, dont nous avons chroniqué le roman il y a peu), qui était journaliste à l’époque, et qui était d’ailleurs un grand fan de Genesis. Je me souviens également d’avoir fait un show TV ici. C’est vrai qu’il y a une relation spéciale avec la Belgique, c’est ici que notre carrière a décollé, et c’est évidemment important pour nous car on était un petit groupe qui se battait pour se faire connaître. Cela semble impossible maintenant, mais dans le temps, personne ne savait de quoi le futur serait fait. Comme tous les petits groupes, on faisait tout pour que cela marche et cela a payé.

Avec le recul, referiez-vous les choses exactement comme vous les avez faites auparavant?

Je suppose que oui. J’aurais juste aimé pouvoir jouer à l’époque comme je peux jouer actuellement, avec tout l’équipement que je possède désormais. Si j’avais eu tout ce matériel à l’époque où je jouais dans Genesis, cela aurait pu être extraordinaire. Mais bon, avec le temps, vous gagnez de l’expérience aussi.. Mais vous savez, la musique est un mystère, c’est un tir dans le noir, vous ne savez jamais comment cela va se passer, comment une chanson fonctionnera, si cela sera un hit ou pas.

C’est vrai que parfois, un artiste pense avoir une bonne idée. Mais ensuite, il se rend compte que ce n’était pas aussi bon que ça. Est-ce que cela vous est arrivé?

(Longue hésitation).

Pour être honnête oui, je pensais qu’une chanson allait être  vraiment bonne, mais au final ce n’était pas aussi merveilleux que je ne l’aurais pensé. Je crois qu’il faut rendre son groupe enthousiaste quand on a une idée. Par exemple, je travaille sur un nouvel album solo, j’ai déjà enregistré la moitié d’ailleurs. Pendant notre soundcheck l’autre jour, j’ai commencé à jouer ce morceau et le groupe semblait vraiment apprécier donc on a commencé à jammer sur ce morceau, qui est assez « heavy » . ( Steve se met à fredonner le morceau en question)

Le groupe l’a aimé et Gary ( Ndlr : Le batteur du groupe ), quand nous jouons Los Endos à la fin du concert,  sentait que ce morceau collerait parfaitement à ce moment-là. Cela me rappelle un petit peu Mike Giles avec King Crimson sur l’album In the Court of the Crimson King, un de mes album préféré. J’ai toujours voulu que la musique de notre groupe sonne comme cet album.

A propos d’autres groupes, y a t-il des artistes  » actuels » qui vous plaisent?

Joe Bonamassa, est quelqu’un que j’apprécie vraiment. Il fait du blues, très bon, très surprenant, très dynamique. J’ai eu l’occasion de le rencontrer quelque fois. C’est Chris Squire ( Ndlr bassiste du groupe Yes ) qui me l’a présenté en me disant « ce gars fait une super version de Starship Trooper »( Ndlr un grand succès du groupe Yes ). Je me suis rendu compte par la suite qu’il faisait également une reprise de Genesis, Los Endos (rires)

Steve Hackett me dit alors poliment qu’il va devoir partir pour préparer le concert du soir. Les 40 minutes de discussion avec lui ont filé à une vitesse folle.  Steve Hackett s’est montré très réceptif, gentil, a pris le temps pour répondre à chacune de mes questions, bref il fut à la hauteur de sa réputation : un véritable gentleman

 

A propos Julien Sterckx 125 Articles
Mais tu dis Que le bonheur est irréductible Et je dis Et il dit Que ton espoir n´est pas si désespéré A condition d´analyser Que l´absolu ne doit pas être Annihiler Par l´illusoire précarité De nos amours Destitué(e)s Et vice et versa

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