Interview du Collectif Ersatz pour Jungle Space in America, actuellement aux Halles de Schaerbeek

Comment le collectif Esatz est-il né ? Sous quelle impulsion ?

Camille Panza : Ersatz c’est à la base le nom d’une compagnie française que Léo (Léonard Cornevin) et moi avons créée avec deux autres personnes. Ersatz, parce qu’on vient de l’est de la France, ou la langue allemande est très présente. Le mot ersatz signifie substitut.

Léonard Cornevin : On voulait travailler en collectif. C’était un collectif de quatre personnes, tous sur le plateau, tous metteurs en scène et acteurs. Ce collectif-ci n’a pas continué mais on a conservé le nom du projet. A la base, on s’est réunit sur le projet de fin d’études de Camille (qui a étudié à l’INSAS), autour du rêve,  et on s’est tous retrouvés autour de cette mise en scène là (Camille Panza, Léonard Cornevin, Marie-Laetitia Cianfarani et Noam Rzewksi). Pierre (Mercier) s’est ajouté au projet avec sa volonté d’explorer le théâtre et la performance en bande dessinée. Il était venu à cette occasion pour donner un coup de main sur le flyer, et dessiner des scènes. De là s’est créé le noyau Ersatz et l’idée du projet Jungle Space in America, en janvier 2015, avec cette volonté de créer un univers autour des monstres, des ambiances. Très vite, la nouvelle de HP Lovecraft est apparue comme une référence, un point de départ.

Noam Rzewski : Pierre, Marie(-Laetitia) et moi étions plus calés sur Lovecraft. L’idée est venue d’une l’envie de créer quelque chose autour de la matière, de la Science-Fiction, lorsqu’on était encore à l’école.

Léonard Cornevin : Marie a proposé une installation type parc d’attraction, suivant les ambiances de Lovecraft.

Marie-Laetitia Cianfarani : Oui, suivant cette succession de mondes…

Pierre Mercier : On partait en somme d’envies pas mal différentes mais aussi similaires, et qu’on a agglomérées.

Expliquez-nous le concept de Jungle Space in America. Pourquoi ce titre ?

Léonard : On est donc parti sur Lovecraft qui nous a permis de canaliser notre création dans un premier temps, en reprenant les ambiances, notamment celles de la nouvelle La Quête onirique de Kadath l’inconnue, et les sensations qu’on retirait de ce texte là. Ce qui était intéressant, c’est qu’après la lecture de cette nouvelle, on a l’impression d’avoir rêvé des moments, et on ne savait pas vraiment ce qu’on a lu, ce qu’on a imaginé. Cet axe était très important dans le processus de création de Jungle Space in America, pour lequel on voulait qu’à la fin de l’installation, on ne sache pas vraiment faire la différence entre ce qu’on avait vraiment vécu et ce qu’on avait fantasmé. Après, plus concrètement, le projet s’est formé autour d’une première résidence à côté de Metz.

Pierre : J’ai accompagné le collectif au départ pour documenter la résidence en elle-même, et on s’est rendu compte qu’on pouvait faire quelque chose de plus intéressant qu’un carnet de bord de résidence, quelque chose de transmédia.

Noam : Dans le processus, ce qui était intéressant aussi, c’est qu’on était tous les quatre (Camille Panza, Léonard Cornevin, Marie-Laetitia Cianfarani et Noam Rzewksi) sur le plateau. C’est notre manière de procéder : on créé tout et on joue tous les quatre au plateau. Et Pierre est devenu le regard extérieur, tout en étant dessinateur, et son rôle a évolué très vite durant cette première résidence à Talange (près de Metz), où l’importance de la BD et de l’illustration a vraiment commencé à se faire sentir…

Léonard : Pierre à commencé à teinter l’esthétique du projet, qui devenait très BD.

Pierre : Je n’ai moi-même pas beaucoup de références en théâtre, mais c’est un univers qui m’intéresse beaucoup et qui est très différent, comme inspiration, du genre de choses qu’on peut étudier en école d’art en général, où on ne parle pas beaucoup de théâtre. Le théâtre peut m’influencer dans le sens où j’y vois un rapport direct avec la bande dessinée : la manière de construire des images, des espaces. J’ai donc apporté au collectif des références qui ne sont pas forcément celles du théâtre et les références qu’eux utilisent m’ont également influencées.

Camille : Le titre est lié à la nouvelle de Lovecraft, et de cette cartographie de cet homme qui voyage à travers les contrées du rêve, et on en a retiré trois grandes entités : Jungle, Space et America. Le « jungle » c’était l’arborescent, la forêt, le fouillis, lié aux arbres et à la nature (le volcan dans l’installation). Le « space », c’était le lien au cosmos, aux monstres de Lovecraft, et aux abysses, pour un monde dans la noir (des personnages qu’on retrouve dans la grotte notamment). Le « in America », c’étaient ces grandes étendues…

Pierre : Surtout à la fin de la nouvelle, où le personnage parcourt de grandes distances, interminables. Mais aussi le côté Las Vegas sans vernis, pour « in America ». Las Vegas qui peut paraître attirante à première vue, mais quand on gratte un peu le vernis…on découvre quelque chose de malsain.

Noam : Il y aussi le fait que Lovecraft est américain, et qu’il raconte ces mondes complètement dingues, alors qu’il n’est jamais sorti dans sa ville natale, ce qui est un peu morale assez dure, qui consiste à dire qu’on n’est jamais mieux que chez soi, et qui est une vraie critique vis-à-vis des fantasmes de ces grandes étendues…

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En terme journalistique un peu pompeux, on dirait que Jungle Space in America est une forme hybride de théâtre…

Marie-Laetitia : Ce n’est pas du tout pompeux ! C’est exactement ça !

Pierre : Le « résumé » du collectif, c’est qu’on est tous d’une discipline différente et un peu spécifique, et que chacun amène ses idées qui font que celles des autres peuvent évoluer, ou pas, mais en tout cas il peut y avoir des répercutions entre les différents disciplines.

Finalement, vous vous influencez énormément entre vous ?

Noam Rzewski : Tout le temps. (rires collectifs)

Camille : Sans cesse! (rires)

Pierre : Je ne sais pas si on peut dire qu’on fait la « BD au théâtre » ou de la « lumière en BD » mais en tout cas, c’est quelque chose de vraiment transmédia.

Noam : Je vais faire mon cultivé de merde là, mais en gros on s’influence comme Arthur C. Clarke et Kubrick s’influencent pour 2001, l’Odyssée de l’espace (film éponyme du roman de Clarke). Arthur C. Clarke est autant un pilier de la SF que Kubrick est un pilier du cinéma.  Ce qui ne veut pas dire que les deux œuvres sont identiques, il y a des différences flagrantes, et c’est ce qui fait tout l’intérêt de cette relation d’influence. Mais donc effectivement, toutes ces différentes formes : spectacle, installation, bande dessinée font partie d’un seul ensemble, Jungle Space in America, mais elles sont toutes un peu autonomes et ont chacune leur direction.

Camille : Le projet à la base n’était pas figé, c’était aussi vraiment de l’expérimentation entre nous, on a commencé par travailler sur la forme vivante. Mais c’est aussi en fonction de nos envies, des lieux de production. Aux Halles par exemple, c’est une carte blanche, et on a donc pu travailler sur l’installation. Pour l’instant, on est sur des petits budgets, et on essaie de se débrouiller avec ce qu’on a, on a toujours fonctionner comme ça.

Système D, Kubrick et 2001, l’Odyssée de l’espace font donc partie de vos influences ? Quelles sont vos influences ?

Pierre : Oui, cela peut faire partie de nos influences, mais peut-être pas sur ce projet en particulier. On a pas mal regardé de vieux films avec des vieux décors, et des vieux effets spéciaux, avec des melons remplis d’œufs brouillés et de ketchup pour faire une cervelle, et ça marche très bien! Et ça existe.

Léonard : Oui ça existe, contrairement au numérique, qui n’existe pas vraiment.

Noam : On s’est fait des sessions de films d’horreur, fantastique des années 80.

Léonard : On a essayé de regarder les remakes, mais la synthèse gâche beaucoup de choses. Par exemple avec Freddy. Dans la version originale, il y a une scène dans laquelle Freddy a des immenses bras, et ils ont vraiment construit ces immenses bras, c’est une marionnette, mais c’est d’autant plus terrifiant parce que ça existe, ce n’est pas de la synthèse.

Noam : Il y a aussi les jeux vidéos, pout les ambiances surtout.

Pierre Mercier : Le jeu vidéo en soi, c’est une exploration d’un univers, avec une histoire à l’intérieur. Partant de là, il y en beaucoup qui pourraient être un temps soit peu une influence.

Noam : Par exemple le jeu vidéo Myst, du début des années 90. Basé sur du « point and click », le personnage se retrouve dans un univers grâce à un livre qu’il a découvert et qui lui permet de se téléporter dans ce nouveau monde.

Léonard : Il y aussi l’univers de Charles Burns, que Pierre nous a fait découvrir, et qui nous a beaucoup influencé, notamment avec la femme maison, qui nous a donné l’idée du mannequin tabouret. Et après d’un point de vue théâtral, notre grande influence c’est Miet Warlop, plasticienne à la base, qui fait aussi du théâtre performance. Elle ouvre des portes dans le théâtre dans le sens où elle fait parler la matière avant tout. Elle a commencé sa dernière performance en disant « la matière est plus forte que le sens ». C’est une artiste qui nous a beaucoup influencé et qui nous a donné l’envie de prendre la direction actuelle de Jungle Space in America.

Pierre : Oui, c’est une influence majeure pour nous. Son postulat de base est très fort.

Qu’avez-vous cherché à transmettre au visiteur/spectateur au travers de cette œuvre ? Comment interagissez-vous avec eux ?

Camille : C’est la première fois qu’on fait une installation.

Pierre : Oui, du coup c’est un peu un test pour ce genre de projet.

Camille : Par exemple, c’est assez drôle d’observer les réactions des enfants. L’intérêt de l’installation c’est qu’elle ne peut pas se viser en groupe trop important, ce qui permet de mieux observer les réactions. On a aussi envie d’entraîner les gens à imaginer par eux-mêmes en leur proposant ce terrain de jeu.

Léonard : Ce qui est drôle c’est de voir que les gens s’influencent beaucoup entre eux. Par exemple, certaines personnes avec un comportement plus curieux, vont entraîner les autres qui vont se prendre au jeu.  De l’autre côté, il y a des personnes, qui visitent l’installation seules, et qui font très rapidement le tour, qui ont l’impression d’avoir compris et qui repartent. Cette installation c’est notre première apparition en public,  le but c’est de poser les bases de cette mythologie de Jungle Space, d’essayer de regrouper tous les éléments, à travers l’installation, qui vont être déclinés. Il y a cette volonté de point de départ, avec le public aussi, de donner plusieurs ambiances, avec ce temple, ce volcan, cette petite grotte, qui sont assez différentes d’un point de vue esthétique, de les faire rêver, et de rentrer dans l’imaginaire Jungle Space.

Pierre : C’est un mini écosystème de ce qu’est l’univers de Jungle Space, qu’on imagine un peu infini en soi, en termes de superficie.

Léonard : Et puis montrer l’envers du décor, la construction de l’installation, au public, c’était aussi très important pour nous.

Marie : Oui, on ne voulait pas absolument donner l’illusion qu’on est dans un autre monde, mais leur montrer aussi que c’est un décor.

Noam : Que c’est fake !

Pierre : On peut aussi finir par y croire, avec la structure du lieu d’accueil. On peut se mettre dans la tête que cette structure et tout ce que l’on voit fait partie intégrante de l’univers dans lequel on pénètre. Ca fonctionne bien avec ce qu’on veut créer, cette frontière fine entre fiction et réel.

Léonard : Et c’est assez fidèle à ces films pour lesquels on sait que c’est faux, mais c’est ce qui est beau.

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Quelle est la place du numérique dans votre œuvre ?

Noam : On encode des programmes son et lumière, c’est l’usage numérique qu’on a.

Léonard : C’est aussi en contre-point avec tout ce festival des arts numériques.

Noam : Oui, on pense souvent que les arts numériques c’est forcément vidéo projection. Mais ce n’est pas que ça. Après, on utilise aussi des ordinateurs donc il y a un côté numérique. Mais tout n’est pas stocké sur un disque dur, il y a des choses qui sont concrètement là effectivement.

Pierre : Il y aussi la problématique de la maîtrise technique. On n’a pas forcément la maîtrise de tout ce qui est robotique par exemple, même si ce serait très intéressant, ça s’intégrerait différemment dans l’installation.

Léonard : Mais on va commencer à développer cet aspect. On va développer des choses mais qui ne seront pas repérables en tant que numériques. Et Pierre, par exemple, pour la BD, passe par un ordinateur ! (rires collectifs)

Pierre : Uniquement en retouche et en mise en page ! En ce qui concerne les arts numériques, je vois surtout la robotique intégrer le projet pour ma part. J’oserai dire qu’on est plus du côté hardware. (rires)

On a vraiment l’impression que c’est l’installation la plus humaine, la plus proche du public, en comparaison aux autres installations de Visions, qui peuvent paraître plus froides, où on a du mal à percevoir l’humain derrière la machine.

Marie : Oui, le problème des arts numériques, c’est que l’on perçoit ça comme quelque chose de très froid.

Léonard : C’est vrai que ce sont des expériences très individuelles. Ramener de l’humain dans notre installation faisait en effet vraiment partie de nos axes principaux de développement. Et il y a encore une fois cette question de vie, de scénographie vivante, avec cette installation qui évolue, qui change.

Vous seriez prêts à modifier l’installation en fonction des retours du public par exemple ?

Noam : Ah oui, complètement.

Léonard : Oui et d’ailleurs, on est train de clarifier la position du spectateur dans l’installation, parce qu’on a vu que pour certaines personnes très curieuses, ils vont facilement dedans, pour les autres, ils ne savent pas trop où ils vont et on essaie de les guider, notamment au travers des planches de Pierre.

Camille : On voit certains visiteurs passer à tel endroit, auquel on n’aurait jamais pensé, et ça nous donne des idées, ça aide à évoluer ! On fait ça pour eux !

Léonard : On a toujours partagé les étapes de travail avec le public, depuis le début, et je pense qu’on va continuer sur cette dynamique là. On pense que la création doit être partagée et expérimentée par le public, et qu’on ne soit pas juste dans notre coin.

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Quelles évolutions pour Jungle Space in America ?

Camille : En juin dernier, on a du présenter une petite étape de Jungle Space in America, et de là, on a commencé à penser à la forme conférence par exemple. Donc le projet évolue en fonction des contraintes…

Pierre : … des opportunités aussi, des différents lieux dans lesquels on peut être accueilli. On essaie de rebondir là dessus, que chaque lieu se retrouve dans l’univers Jungle Space.

Léonard : Il y avait aussi de la volonté de ramener de la vie dans l’art, dans la manière de créer. Créer un projet évolutif, qui puisse répondre à nos envies du moment, cela nous correspond bien parce que cela nous permet de toujours être en recherche, toujours en expérimentation et de le partager avec le public. On trouve en effet que c’est important que le public assiste à ce genre de choses.

Camille : On s’est rendus compte que les gens avaient envie de toucher les matières de l’installation. Il faudrait trouver quelque chose où le public aurait plus d’interaction possible avec l’installation.

Noam : On a pensé à décorer le train par exemple.

Léonard : Il y a aussi trois volets BD qui vont sortir, et chaque fois on aimerait faire des vernissages/événements avec de l’installation et de la mise en espace de BD, de reprendre certains modules et des les améliorer. Ces trois volets seront donc Jungle, Space et in America, qui sera America.

Pierre : J’ai essayé de penser au « in » mais je n’ai pas encore trouvé quoi en faire. (rires)

Léonard : Et on va travailler sur la forme conférence, et sur la forme performative/spectacle.

http://www.espacejungle.com

 

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