Infidèles au Théâtre des Tanneurs

Texte d’Ingmar Bergman, mise en scène de et avec Ruth Becquart, Robby Cleiren, Jolente de Keersmaerker et Frank Vercruyssen (tg STAN /de Roovers) au Théâtre des Tanneurs du 20 au 23 février 2019. Crédit photo de Stef Stessel

Les compagnies tg Stan et de Roovers s’allient pour monter une pièce tirée des écrits de Bergman, le scénario du film Infidèles et son autobiographie Laterna magica. Passionné par cet écrivain, Franck Vercruyssen  décide de mettre en lumière sur scène l’écho frappant entre sa vie et son œuvre. Le récit se crée dans une mise en abyme où les frontières entre fiction, scène et réalité seront troubles tout le long.

Infidèles raconte l’histoire d’une femme Marianne face à deux hommes, Marcus son mari et David son amant. On assiste à l’éclosion de ce qu’on appelle une « infidélité » et aux mensonges qu’elle provoque. Jalousie, rancœur, humiliations et paranoïas s’entremêlent dans la solitude de l’homme. La pièce ausculte l’impact de nos mots et le mal qu’ils engendrent. Ces corps abîmés déambulent sur une scénographie très sobre composée de quelques lumières sur un intérieur quotidien, où les règlements de compte se font en pleine lumière, tandis que l’intime se dévoile au fond du plateau.

Constamment dans la recherche, la création se vit au présent. Face à nous, le récit va se construire au fur et à mesure, donnant l’impression d’être spontané. La fiction prend le dessus sur le réel lorsque l’acteur est transporté par l’émotion de son personnage et se transforme. Les quatre comédiens laissent le présent impacter leurs jeux et leurs émotions. Ils prennent le temps, considèrent le silence et le digèrent. Ils explorent des sentiments extrêmes sans jamais tomber dans l’hystérie. L’humour offre un regard lucide, cruel et attachant. On retrouve la liberté et la douce folie des compagnies flamandes qui tranche avec la rigueur du texte.

Jolente de Keersmaeker de la compagnie de Roovers apporte une dimension corporelle au récit. Son exploration des lignes dans l’espace nous rappelle les chorégraphies Rosas de sa sœur Anne Théresa. Ici, c’est par le mot que naît le mouvement, en cherchant sa réaction et son impact. La danseuse n’est jamais dans la performance et fait primer la nécessité et la recherche. Son incarnation de l’enfant est physique et trouve sa source à  l’intérieur, viscéralement. Cette conscience du corps, que l’on retrouve chez ses partenaires, dote les personnages d’une âme particulière.

Infidèles nous dévoile une belle complicité de jeu, d’invention au moment présent et de fragilité. Les comédiens incarnent ces caractères bergmaniens avec une grande justesse, sans jamais les juger. Et malgré la dureté du texte, ils offrent à leurs personnages une douceur singulière qui n’enlève rien à l’intensité.

A propos Luna Luz Deshayes 29 Articles
Journaliste du Suricate Magazine