I Silenti : de fulgurants silences au Théâtre National

© Kurt Van Der Elst

De Fabrizio Cassol, Tcha Limberger et Lisaboa Houbrechts, du 22 au 25 février 2022 au Théâtre National.

Fabrizio Cassol, compositeur saxophoniste belge, signe un spectacle musical d’une vive solennité puisque c’est la thématique de l’abnégation raciale qui est abordée. Donner la parole à ceux que l’on a bâillonnés depuis trop longtemps est le fil rouge de la pièce. L’esthétique sonore et visuel s’inscrit dans la tradition gitane où gravité lyrique et rythmique colorée s’entrechoquent.

Une intrication paradoxale, car si la chorégraphie unie parfaitement les danseurs acteurs et musiciens, l’intention necromantique implique une distance respectueuse. Les corps se frôlent plus qu’ils ne se touchent, les codes de la cérémonie funéraire supprimant toute possibilité charnelle. Le geste chorégraphique se transmue en geste mémoriel et le talent artistique est hommage avant d’être démonstration.

Creuser les origines des roms avec l’évocations des Sinté, groupe ethnique de l’Ouest de l’Europe, – orientation nourrie par la présence de la danseuse indienne Shantala Shivalingappa ou l’usage d’une prose ancestrale bucolique – guide la musicalité méditerranéenne. Un univers plus métaphorique que didactique, où souvenirs guerriers et ode à l’amour ne font qu’une voix, permettant l’arrimage de deux sphères émotionnelles antithétiques. Ce requiem traite la mort avec dignité : la luminosité sombre, le ballet tout en retenu et le texte allégorique permettent la rencontre de plusieurs cosmos musicaux et historiques. Une thématique grave qui fait écho à d’autres génocides passés sous silence et dont la surdité mémorielle justifie le titre de la pièce.

La joie tragique est exprimée par le textile coloré des costumes, l’exaltation virale des artistes, au goût des Balkans. C’est dans une veine de fête mortuaire que les « Imitations Profanes » et « Imitations Saintes » des madrigaux se déploient sur l’espace scénique. Un rapport au texte et à la musique mystique puisque, comme lors d’une cérémonie funéraire, les virtuoses semblent exécuter leurs partitions dans un état méditatif. La gestuelle, la résonnance des corps et des instruments permettent de faire voir et entendre des cris que l’on a étouffés et relégués au rang d’archives. Une poétique, cantique et quantique : captation sonore et géométrie corporelle s’épousent dans une symétrie singulière, dont les ombres calligraphiques se dessinent dans l’arrière fond de la scène. Pas de chao, cependant, et peut-être l’émergence d’une légère frustration quand l’oreille voudrait s’emporter dans des rythmes plus sensuels, ; cette promesse – amorcée par des envolées instrumentales et vocales – est évaporée la maitrise technique aussi minutieuse qu’exacte.

C’est donc l’esquisse d’un voyage au pays des holocaustes que nous proposent Fabrizio Cassol et ses partenaire, un art qui permet la compassion, selon les termes de l’artiste.