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    Exhibit A : de petites choses du quotidien qui en disent long

    Seule en scène, et à l’ordinateur, Sihame Haddioui aligne les preuves écrites pour illustrer les oppressions et les héritages invisibles qui marquent les corps et les trajectoires des personnes issues de milieux populaires et racisés.

    A sa table de travail jonchée de boîtes de médicaments, derrière son Mac et devant l’écran qui projette ses écrits, Sihame Haddioui écrit s’exprime en direct, sans jamais prendre la parole. Outre la distance que créée le procédé, il constitue également une façon de prendre le pouvoir. C’est elle qui écrit les mots et, le cas échéant, les efface, lui assurant la maîtrise totale de son histoire.

    « J’ai toujours eu des douleurs au corps, note-t-elle. Les genoux, les chevilles, le dos. C’est un truc de famille. C’est fou, non ? Genre mes potes blancs héritent de sommes d’argent, moi j’hérite des jambes lourdes et des bas de contention de ma grand-mère. Je me fais bien niquer. »

    Puisant dans son histoire personnelle et celle de sa famille qui partage les mêmes symptômes, Sihame Haddioui les relie à des dynamiques historiques et sociales plus larges, tissant des liens entre l’intime et le politique. Elle met en lumière les corps et les histoires souvent invisibilisés par les mécanismes d’oppression (capitalisme, colonialisme, patriarcat) inhérents à la société actuelle. « Nous sommes les chevilles ouvrières endolories de l’Europe. »

    Fille et petite-fille d’ouvriers, elle raconte la vie d’une fillette dans une famille d’émigrés avec Youssef, qui la pousse un peu trop souvent, et ses meilleures amies dont l’une lui a appris à voler de ses propres ailes… Avec, aussi, le grand frère, qui passe par la case prison où elle découvre un autre monde et la peur d’y rencontrer des gens qu’on connaît. Celle qui a elle-même travaillé, de nuit, à l’usine pendant sept ans, ne réalisait pas que sa famille avait un corps puisqu’il était uniquement considéré comme un outil de travail.

    Le cri du corps

    Ancienne échevine de la Culture et de l’Égalité des genres et des chances à Schaerbeek, Sihame Haddioui a également puisé dans l’expérience douloureuse d’une fin de mandat marquée par le dépôt d’une plainte contre un collègue pour violences sexistes et sexuelles. Heurtée à la perte de contrôle sur la manière dont son corps est perçu et sur les attentes projetées sur elle, la trentenaire est revenue à l’écrit pour se réapproprier sa voix et son corps. La performance s’inscrit d’ailleurs en complément de l’essai Rendre Corps, à paraître à l’automne 2024, qui prolonge la réflexion sur la réappropriation et la visibilité des corps minoritaires.

    Avant chacune de ses interventions au clavier, elle indique Exhibit, une lettre, de A à I, et le nom d’un médicament, de l’Ibuprofen 600 au nitrazepam en passant par tous les incontournables de la pharmacie. « Exhibit » est un terme anglo-saxon qui désigne les pièces à conviction que l’on présente pour étayer un dossier afin de convaincre un juge, le public, de son bien-fondé. Radicale et provocatrice, la performeuse érige des souvenirs intimes éléments de preuve. « On est dans un contexte anti-woke où on parle de dictature du ressenti, explique-t-elle dans une interview. Non seulement, je vous affiche mes ressentis sous le nez, mais en plus, j’en fais des preuves d’existence. » Apparemment banals, ce sont ces fragments de vie qui construisent l’identité.

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