Ersan Mondtag et Ely Daou au Kunstenfestivaldesarts

Photographie de "De Living" © Hupfeld
De Living © Hupfeld

Parmi les créations originales présentés lors du Kunstenfestivaldesarts cette année, on trouve notamment De Living (Le Salon) d’Ersan Mondtag et I…Cognitive Maps-Chapter 1, d’Ely Daou. Deux spectacles présentées pour la toute première fois à Bruxelles.

Ersan Mondtag

Du 22 au 25 mai 2019, le metteur en scène allemand Ersan Mondtag a présenté sa nouvelle pièce dans le studio du Théâtre National. De Living raconte le suicide d’une jeune femme à travers deux temporalités. Tandis que d’un côté de la scène se joue l’action une heure avant, de l’autre elle débute par le suicide avant de se rembobiner. Les temps vont se mélanger, s’inverser jusqu’à se rejoindre. Ce sont les jumelles Doris et Nathalie Bokongo Nkumu qui endossent le double-rôle dans un mimétisme aiguisé au couteau et une concentration de marbre. L’artiste explore ainsi l’horreur de l’acte en le déshumanisant et le décontextualisant. Accompagné d’une odeur de gaz toujours présente et d’un temps silencieux, le malaise s’éternise jusqu’à s’épuiser. Malgré la curiosité que crée cette scénographie surréaliste, elle ne surprend pas et offre peu de fantaisie sur long terme.

Alors qu’Ersan Mondtag fait référence aux héroïnes tragiques Antigone et Ophélie, ici il n’offre aucun passé et aucune âme à son personnage. Celles qui se sont tuées par engagement et incapacité à supporter ce monde font face ici à un acte désincarné. Bien que ce soit un parti pris clair, il laisse dubitatif. Sans parole, le son d’ambiance est sans cesse présent pour ponctuer chaque action et chaque geste. Le spectateur peut se sentir pris en otage par la lenteur d’une dramaturgie qui s’annule. Le propos et l’engagement semblent se perdre dans l’illustration. Le sang ne tâche pas, le feu refroidit, la mort s’oublie vite. Le temps qui défile et celui qui se rembobine semblent identique comme si les actions n’avaient ni début ni fin. La boucle se répète sans envie et sans satisfaction, sans impact sur la réalité et l’espace. L’ennui, la perte du goût à la vie, et la déconnexion au réel trouvent ici une certaine justesse. De Living noue le ventre et ne laisse pas sans s’interroger mais ce qu’il offre comme matière à imaginer ou ressentir semble insuffisant.

Ely Daou

Avec I…Cognitive Maps-Chapter 1, Ely Daou nous raconte son histoire à travers l’espace, construisant et déconstruisant le souvenir. Il remplit au fur et à mesure les plans des maisons de ses parents et de ses grands-parents. Chaque recoin fait émerger une nouvelle anecdote et permet de reconstituer la mémoire oubliée. L’adulte regarde l’enfant grandir. Il hésite, cherche et redécouvre son passé dans les lieux de son enfance. Sa voix est sincère et brute, elle s’adresse directement à toi. D’une innocence troublante, l’artiste nous fait souvent rire. Sa narration construit le décor permettant à notre imagination de se mêler à son histoire individuelle.

Au fil de ses dessins et de ses mots, des images surgissent investissant les lieux d’une identité. La carte du passé s’assemble de fragments du quotidien. Le contexte socio-politique du Liban s’aperçoit dans les yeux du jeune garçon sans jamais être énoncé. Le participe passé français raconte le verbe « accomplir » en arabe [NDLR: En arabe, passé, présent et futur n’existent pas. On utilise le temps accompli et non-accompli]. Les temps se conjuguent pendant qu’Ely Daou rend un bel hommage à la transmission. La pièce est jouée en deux versions, en français et en anglais, d’abord à Kanal-Centre Pompidou puis à La Raffinerie jusqu’au 1 juin.

A propos Luna Luz Deshayes 29 Articles
Journaliste du Suricate Magazine