Epiphania : Une hérésie génétique

Scénario : Ludovic Debeurme
Dessin : Ludovic Debeurme
Éditeur : Casterman
Sortie : 24 novembre 2021
Genre : Fantastique

Prenons un monde dans lequel, suite à l’écrasement d’une météorite, des bébés mi-animaux mi-humains pousseraient dans les jardins comme des choux. Dans ce monde, fruit de l’imagination fertile du bédéiste Ludovic Debeurme, le vivre-ensemble et la défense de l’environnement deviennent des questions qu’il n’est plus possible de balayer sous le tapis. David – musicos et barbu au grand cœur – adopte la petite tête plantée dans son jardin et lui donne, en bon hipster, un prénom compliqué et exotique. David scolarise Koji. Il nourrit ce petit être hybride qui souffre d’ostracisme, à cause de ses jambes étranges et de la rapidité à laquelle il grandit. Pendant que ce Mixbody – ou Epiphanian comme ils préfèrent se faire appeler – reçoit tout l’amour que mérite un enfant, ses congénères sont parqués comme des bêtes dans des hangars, maltraités par des hommes que la différence effraie. Et évidemment, des mouvements et groupuscules terroristes pro-épiphanians se mettent en place, creusant toujours un peu plus le fossé qui sépare les humains de ceux qui ne le sont pas.

Comme un air de déjà-vu ? Normal, Debeurme profite de ce pitch alléchant pour scruter l’actualité. Tout y passe. Que ce soit le réchauffement climatique, le terrorisme, le racisme, ou encore la migration. Debeurme en fait une grande soupe, qu’il sert avec sensationnalisme, se moquant au passage gentiment de quelques médias d’information. Certaines références résultent sur des considérations un peu convenues. Mais dans l’ensemble, Debeurme parvient à réfléchir ses sujets pour que non seulement ils s’insèrent dans le récit mais aussi qu’ils le renforcent. D’ailleurs, l’auteur français parfois nous surprend, nous rendant témoins de conséquences inévitables en de pareilles circonstances mais auxquelles nous n’aurions jamais pensé.

Inspiré de la bande dessinée made in US

Les Epiphanians débarquent sur terre, comme guidés par une main divine pour éradiquer de notre planète ce, ou plutôt ceux, qui la détruisent. Mais les Epiphanians sont faillibles et reproduisent certaines des erreurs de l’homme. Mêlant fiction et actualité, tout en se nourrissant de la culture populaire – avec une forte influence de la bande dessinée américaine – Epiphania se construit comme un album narrativement intelligent et graphiquement particulier. En plus de certaines scènes inspirées du principe dualiste sur lequel reposent les comics – le bien et le mal s’affrontant dans un combat physique et plein de rebondissements – on reconnaît dans la plume de Debeurme l’influence de grands noms de la bande dessinée made in US. Mais l’auteur sait prendre des libertés. En optant pour un dessin numérisé presque désincarné et des contours grossiers d’un rouge très vif, il crée une distance qui s’installe et qui renforce l’ambiance dérangeante de l’histoire. Son découpage répétitif, qui gomme les respirations entre les cases, donne à l’album un ton rapide, presque étouffant. Bien ficelé, le récit nous piège. On est tenu en haleine dans cet album intégral regroupant les trois tomes parus entre 2017 et 2019.