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    Devenir plus intelligent, c’est possible : Un essai qui invite à penser plutôt qu’à briller

    Derrière un titre qui pourrait laisser penser à un énième guide de développement personnel, François-Marie Portes livre en réalité un essai philosophique dense sur la nature de l’intelligence. Loin d’une recette miracle pour « devenir plus malin », le livre propose une exploration méthodique et exigeante de ce qu’est réellement penser.

    Sapere aude !

    L’auteur s’attache d’abord à déconstruire les idées reçues : l’intelligence ne réside pas dans la mémoire ou l’accumulation de savoirs, mais dans la capacité à définir avec précision, à distinguer et à comprendre. C’est une démarche d’hygiène intellectuelle autant qu’une éthique de la pensée. L’auteur confesse d’ailleurs avoir lui-même été victime d’une illusion d’intelligence avant d’en comprendre la véritable essence — un processus qui suppose, dit-il, de s’affranchir de l’ego pour retrouver une netteté intellectuelle face aux choses.

    Progressivement, il érige une architecture de l’intelligence en trois dimensions :

        La vie émotionnelle, qu’il faut d’abord cadrer ;

        La vie intérieure, qu’il convient de nourrir dans le silence ;

        Le discours, enfin, où le vrai et le faux peuvent se rencontrer.

    Ce n’est qu’une fois ces deux premières sphères harmonisées, explique-t-il, que l’on peut aspirer à un discours juste. « Pour bien se poser une question, il faut comprendre comment s’opposent les énonciations », écrit-il, avant de détailler la logique interne des propositions et de leurs oppositions possibles.

    Cette approche donne au livre un ancrage presque pragmatique : la quête d’un esprit désireux de comprendre avant de convaincre, de définir avant d’affirmer. Pour cela l’auteur s’appuie sur un mélange de réflexions philosophiques et d’expériences personnelles, pour proposer trois “savoirs fondamentaux” censés aider à “mieux penser, mieux dire, mieux convaincre”. La démarche est claire : rappeler que l’intelligence se travaille, s’aiguise, s’enrichit — qu’elle n’est pas un don figé, mais une pratique vivante qui demande humilité.

    Cette ambition généreuse, portée par un ton sincère et altruiste, donne à l’ensemble un caractère plaisant. L’auteur ne cherche pas à dominer son lecteur, mais à l’inviter à s’élever avec lui. Pourtant, la lecture met parfois en lumière une tension entre le fond et la forme.

    Guide, essai ou étude ?

    Si la quatrième de couverture promet un ouvrage “accessible et pédagogique”, la réalité du texte se révèle plus exigeante. Certains passages, denses et conceptuels, nécessitent déjà une solide aisance intellectuelle pour être pleinement saisis. Un lecteur sans familiarité avec la philosophie aristotélicienne ou la linguistique risque de se sentir un peu perdu dans ces distinctions d’énonciations universelles et particulières. L’ouvrage, dès lors, ne s’adresse peut-être pas à “tous”, mais plutôt à ceux qui aiment raisonner, débattre, et mettre leur pensée à l’épreuve.

    À ce paradoxe stylistique s’ajoute un paradoxe conceptuel : en cherchant à clarifier la pensée, l’auteur affirme que l’émotion et l’imprécision sont des handicaps dans la quête du vrai. L’intelligence, selon lui, ne peut s’épanouir que dans le détachement de l’affect. Une position qui, si elle évoque la rigueur cartésienne, semble ignorer les apports contemporains des sciences cognitives et de la psychologie.

    L’intelligence émotionnelle, notamment, repose au contraire sur la reconnaissance et la compréhension des émotions, sur la capacité d’empathie et d’adaptation relationnelle. Ces dimensions, loin d’entraver la pensée, en enrichissent souvent la lucidité. En niant cet aspect, l’auteur propose une vision de l’intelligence purement rationnelle qui laisse de côté la complexité sensible de l’être humain.

    Ce décalage ne nuit toutefois pas à la valeur de l’essai — il en modifie simplement la portée. L’ouvrage n’est pas un manuel que l’on feuillette distraitement dans un café : c’est une invitation exigeante à penser la pensée, à examiner la matière même de nos raisonnements et à retrouver la fécondité du silence intérieur. L’auteur insiste, d’ailleurs, sur l’importance de ce calme intérieur : pour lui, la pensée claire naît d’un esprit serein, d’une distance face aux manipulations du monde moderne, qu’elles soient médiatiques, politiques ou émotionnelles. Cette dimension de recul, à la fois éthique et intellectuelle, confère au texte une portée qui dépasse la simple réflexion cognitive — presque une invitation à vivre avec plus de lucidité.

    En somme, Devenir plus intelligent, c’est possible ! est un livre exigeant mais profondément stimulant. Il ne livre pas une méthode, mais une mise à l’épreuve. Sous ses airs de manuel, il se révèle être un miroir philosophique, qui renvoie à chacun la question essentielle : Qu’est-ce qu’être intelligent, pour moi ?

    Et si, finalement, le pari de François-Marie Portes n’était pas de nous rendre plus intelligents, mais de nous apprendre à le devenir par la réflexion même qu’il suscite ? A l’heure où l’obscurantisme et le populiste frappent de nouveau à nos portes, n’est-ce pas finalement ce qu’il y a de plus noble à défendre.

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    Titre : Devenir plus intelligent, c'est possible !Auteur : François-Marie PortesÉditeur : CerfDate de parution : 5 juin 2025Genre : Etude Derrière un titre qui pourrait laisser penser à un énième guide de développement personnel, François-Marie Portes livre en réalité un essai philosophique dense sur...Devenir plus intelligent, c'est possible : Un essai qui invite à penser plutôt qu'à briller