Désobéir, une pièce énergique à la rhétorique sans surprise

De Julie Berès, avec Avec Ava Baya, Lou-Adriana Bouziouane, Charmine Fariborzi, Séphora Pondi. A voir jusqu’au 19 février au Théâtre National.

Désobéir, titre évocateur et efficace, est joué au théâtre National dans la petite salle du deuxième étage. C’est en pleine lumière que les quatre jeunes actrices font leur entrée par les escaliers, nous faisant ressentir un sentiment de promiscuité. Gravé dans le mur du fond, cette injonction à la mise à mal de l’ordre insuffle un esprit rebelle dès le premier acte.

L’actrice, Lou-Adriana Bouziouane, ouvre le bal et lève le voile allégoriquement puisqu’elle se livre dans un premier monologue où l’émotion est aussi palpable que crédible. Elle le lève ensuite au sens littéral, retirant sa burqa – emblème d’une polémique brulante d’actualité – au milieu de la scène. Se mettre à nue par la parole, devient le moteur principal de la dramaturgie.  Les protagonistes vont ensuite confronter leurs réflexions sur l’slam, le sexe, la place de la femme dans la société. Beaucoup de mythologies contemporaines sont abordées, laissant une légère impression de survol général. Le numérique, omniprésent dans les codes de la jeunesse d’aujourd’hui, est dilué dans le script par l’évocation des réseaux sociaux ainsi que par la mise en scène, car un écran s’impose synchroniquement à la gestuelle des actrices. Les gros plans sur leur visage donnent une dimension surréaliste qui contraste avec l’esthétique scénique, très classique. La complicité des protagonistes est actée : même look, même confrontation au racisme, même vocabulaire ; malgré des soliloques réguliers – dont l’équilibre laisse à désirer – l’idée de groupe prend le dessus, notamment grâce aux chorégraphies dont le mouvement commun unit les corps.

Briser le joug du paternaliste, est l’une des problématiques qui guide le scripte. L’idée d’exorcisation, mentionnée par la figure du père – décrit comme violent et castrateur – transgresse les codes du théâtre, lequel veut que l’on soit habité par une présence allant parfois jusqu’à la transe. Cette transe est personnifiée par Charmine Fariborzi qui nous fait une démonstration de popping et s’allie avec les vibrations lumineuses. La musique, telle que l’air hip-hop Sapelemé, jalonne la pièce et abreuve l’esprit culture urbaine d’ensemble. La désobéissance est abordée principalement à travers la remise en question de la posture de la femme face à une société masculine, mettant parfois en second plan l’émancipation artistique.

Le texte ouvre des portes de réflexions sur la culture cosmopolite, les clichés raciaux, ou les rapports homme-femme, mais un lourd air de déjà-vu plane sur les rhétoriques. L’école des Femmes de Molière, Une Vérité Qui Dérange de Guggenheim ou Le Cauchemar de Darwin de Sauper, les références ne laissent pas de doute sur les intentions politiques de la metteuse en scène. La fonction didactique pourrait alors perturber l’expérience émotionnelle du spectacle. La prise à témoin du public pour qu’il lise un extrait de texte le souligne fortement. Les causes défendues sont nobles, mais elles laissent peu de place à une approche subtile de la prose et du jeu d’acteur.

Julie Berès signe donc une pièce sociétale réjouissante qui n’a pas la prétention de livrer une vérité absolue. La fonction de la parole est libératrice, les récits intimes deviennent les exutoires d’une jeunesse en questionnement. Le second degré général permet d’alléger les thématiques redondantes : l’ensauvagement – que l’extrême droite se plaît à montrer du doigt – est parodié grâce à l’énergie viscérale de l’interprétation. La quête d’identité et de liberté intérieure que le texte décrit ne parvient cependant pas à contourner les lieux-communs ; un théâtre qui conviendrait très bien à un public jeune encore néophyte face à ces réflexions.