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    Design & Comics : les formes du rêve moderne

    Au Design Museum Brussels, l’exposition Design & Comics: Living in a Box met en scène un dialogue inédit entre mobilier et neuvième art, du 18 octobre 2025 au 1er mars 2026. De Superman à Franquin, des chaises des Eames aux Manga Chairs de Nendo, le parcours explore un siècle de croisements entre culture populaire et modernisme. Une réflexion sur la manière dont le design et la bande dessinée traduisent, chacun à leur façon, l’esprit d’une époque — entre nostalgie et utopie, un siècle d’objets et d’images qui ont donné forme à nos rêves.

    L’exposition Design & Comics: Living in a Box, présentée au Design Museum Brussels jusqu’au 1er mars 2026, explore le dialogue entre design et bande dessinée. Deux disciplines que l’on oppose souvent, mais qui partagent un même langage : celui de la forme, du rythme et du récit visuel. Sous la direction d’Arnaud Bozzini et la scénographie immersive de Valentine Mathieu, l’exposition raconte un siècle d’imaginaires croisés, où le mobilier et la case de BD traduisent une même idée de la modernité.

    « Une exposition sur le dialogue entre le design et la BD devait naturellement comporter un focus sur Franquin », explique Arnaud Bozzini, directeur du musée. « Nous aimons toujours ancrer nos expositions dans notre contexte local. Dans ce cas précis, cela allait de soi. »

    Dès l’entrée, le visiteur plonge dans un décor à la fois familier et surprenant : des meubles aux lignes rondes, des couleurs vives, des murs tapissés de planches agrandies. Valentine Mathieu a conçu la scénographie comme une succession de cases grandeur nature, où les objets ne sont plus de simples pièces de collection, mais des fragments de récit.

    « Nous avons voulu que le visiteur se sente littéralement dans la bande dessinée », précise-t-elle. « Chaque espace fonctionne comme une case agrandie, où le mobilier dialogue avec les images. »

    Dans la première salle, Superman et Plastic Man incarnent l’Amérique optimiste des années 1930 à 1960.

    À leurs côtés, les courbes souples et les teintes pop de la Tomato Chair d’Eero Aarnio ou du mobilier de Gaetano Pesce traduisent la même foi dans le progrès et la malléabilité du monde. « Plastic Man illustre bien l’ère du plastique, raconte la scénographe. Il incarne cette liberté formelle presque utopique que l’on retrouve dans le design des années 1960. »

    Le parcours se poursuit dans l’univers apaisant de Peanuts, la bande dessinée culte de Charles M. Schulz. Derrière l’humour minimaliste de Charlie Brown se cache l’esprit du modernisme américain : lignes pures, humanisme et simplicité. C’est là qu’interviennent Charles et Ray Eames, pionniers du design démocratique.

    « Les Eames ont mis au point leur technique pendant la guerre, en concevant des attelles en bois moulé pour les soldats blessés », explique Arnaud Bozzini. « Ils l’ont ensuite transposée à leurs chaises, donnant naissance à un design souple, élégant et accessible. » Le parallèle est saisissant : chez Schulz comme chez les Eames, le quotidien devient un art à hauteur d’humain.

    Puis vient le moment belge, avec Franquin. Dans Spirou et Fantasio ou Gaston Lagaffe, les lampes, fauteuils et armoires traduisent le mobilier des Trente Glorieuses. Le monde de Franquin, entre dynamisme et dérision, devient ici le cœur battant de l’exposition. « Chez lui, les objets ne sont pas de simples accessoires », observe Valentine Mathieu. « Ils incarnent un mode de vie, une confiance dans le progrès. »

    En écho, l’exposition Design & Comics met en scène les meubles KEWLOX ou Pastoe, dont les lignes épurées rappellent les innovations des Eames. Cette parenté se prolonge dans la section consacrée à l’âge atomique et à la foi dans le futur, née d’Expo 58. Couleurs éclatantes, géométries hardies et matériaux plastiques symbolisent cette époque où la science et le design promettaient un monde meilleur.
    Mais la scénographie rappelle aussi la part d’ombre de cette utopie : l’envers du progrès, la surabondance, l’ironie.

    « Le design est porteur de rêves, mais aussi d’illusions », résume Bozzini. « C’est cette tension que nous avons voulu montrer. »

    Le parcours s’achève sur les Manga Chairs du studio japonais Nendo : des chaises polies qui semblent bondir ou se pencher comme des personnages de manga. Le visiteur devient littéralement partie du dessin, reflet vivant d’un siècle de circulation entre image et objet.

    Mais au-delà du design et de la bande dessinée, Living in a Box agit surtout comme une machine à mémoire. Devant le bureau de Spirou ou la lampe de Gaston, chacun retrouve un fragment d’enfance, une émotion oubliée. La nostalgie agit ici comme un langage commun, une passerelle entre générations. Le musée devient un espace de résonance, où les objets réveillent non seulement des souvenirs individuels, mais aussi une mémoire collective : celle d’un monde plus simple, plus joyeux, où la forme et la fiction racontaient ensemble notre rapport au progrès.

    « Chaque fois que nous ouvrons les caisses, il y a un petit frisson », confie Bozzini. « Ces meubles appartiennent à notre mémoire commune. Les voir “en vrai”, c’est comme revoir un souvenir d’enfance. »

    Entre la rigueur du modernisme et la fantaisie de la bande dessinée, Design & Comics propose une leçon sensible : le design, comme la BD, n’explique pas le monde, il le raconte. Et ce récit, par la matière, la couleur et le trait, continue de nous parler — comme un souvenir toujours vivant.

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