Comment devenir moins con en dix étapes : Entretien avec Quentin Delval

Quentin Delval, auteur du livre « Comment devenir moins con en dix étapes » de Quentin Delval (Hors d’atteinte, 2023)

Couverture du livre « Comment devenir moins con en dix étapes » de Quentin Delval (Hors d’atteinte, 2023)Quentin Delval est spécialiste des questions d’égalité de genre et de diversité. Il a notamment travaillé comme chercheur universitaire puis comme responsable associatif en Belgique et en Suisse. Aujourd’hui de retour à Bruxelles, il nous présente son livre Comment devenir moins con en dix étapes, publié chez Hors d’atteinte. Un ouvrage au titre provocateur qui ne manquera pas de susciter le débat.

C’est quoi, être « con » ?

Je parle du fait d’être con dans nos relations avec les femmes. Le mot peut être utilisé sur un ton léger, par exemple pour nous faire remarquer qu’on pourrait quand même faire attention aux blagues qu’on sort, mais aussi dans des cas beaucoup plus problématiques, comme le fait de pas se soucier du consentement d’une partenaire. Je propose de voir ça comme provenant d’un comportement très masculin que j’appelle l’esquive perpétuelle. En gros, tout ce qu’on n’a pas envie de faire, ou dont on a l’impression que ça ne nous concerne pas, ce sont les femmes – et les minorités sociales – qui doivent se le farcir. Nous avons appris à voir le monde comme ça, à vivre comme si on était l’être humain par défaut auquel le monde s’adapte en permanence. Et tout nous y autorise dans la vie quotidienne. C’est pour ça qu’on ne le voit pas facilement, même quand les femmes nous l’expliquent. Être con, c’est donc se complaire dans cette esquive perpétuelle, et ne rien faire pour en sortir.

Qui aimeriez-vous toucher avec ce livre ?

Les hommes qui se sentent en accord sur le fond avec les mouvements féministes actuels, mais qui ne comprennent quand même pas ce qu’on leur veut, ou qui ne voient pas par où commencer. J’entends souvent des mecs dire que toutes ces discussions les fatiguent, qu’ils ont l’impression de ne pas savoir comment faire pour bien faire. Ils se sentent constamment critiqués et accusés de quelque chose. Pour moi, il s’agit d’un gros malentendu. Je leur propose une façon de changer leur regard sur tout ça, et de passer à l’action. Je pense que le livre peut aussi répondre à une souffrance de certains hommes qui voient leurs relations stagner ou s’effondrer sans trouver les outils pour changer ça. Je parle des façons que j’ai trouvées de dépasser ces situations, ces choses qui se répètent inlassablement.

Mais je pense que le livre est utile aux femmes aussi. Il leur donne accès à un point de vue masculin qui explique dans quelle situation se trouvent les hommes, et pourquoi ils ne semblent pas les comprendre. Ça pourrait leur donner des clés dans leur relation avec leur mec, leur frère, leur ami, leur patron, etc.

Quel a été l’élément déclencheur qui vous a fait prendre conscience de vos propres comportements problématiques ?

Il y a eu une série d’événements marquants, principalement le fait d’être en couple avec des femmes qui ont pris le temps et l’énergie de me faire voir leur réalité. Je me souviens d’une dispute avec une copine quand j’avais la vingtaine. Elle s’était mise à me provoquer physiquement par colère, alors que je ne voyais pas du tout ce que je pouvais avoir fait de mal. Je me suis alors dit un truc comme : « Mais pourquoi cette personne que je trouve intelligente, sensée, sensible, se mettrait dans un état pareil sans raison ? Là, il y a un truc que je dois creuser ». J’ai eu plusieurs moments comme celui-là. Mais c’est surtout en devenant parent que tout s’est accéléré, intensifié. Tout d’un coup, on a dû gérer l’arrivée d’un bébé dans un pays – la Suisse – où les conditions ne sont pas terribles pour les jeunes parents. J’ai bien vu que ma femme portait presque tout… alors même que j’avais l’impression de faire mon maximum ! Donc je me suis dit : bon, clairement, je n’ai pas la bonne lecture des choses.

Comment devenir moins con en dix étapes n’est ni un guide de développement personnel ni un simple témoignage. Comment qualifiez-vous votre approche ?

Je parle de moi et de mes expériences intimes dans la mesure où j’ai vu qu’elles étaient aussi celles des autres hommes croisés au fil des années. C’est une façon de dire : on est tous différents, mais on a tous été à la même école qui nous a rendus cons. J’en ai tiré des enseignements qui ont concrètement changé des choses dans ma vie. Je vous les propose, sans vous donner de leçons pour autant. Et je compte sur vous pour prendre ce qui vous parle et être critiques avec tout ça. Donc voilà, j’analyse un peu, mais sans faire de grande théorie. Je ne rentre pas dans la culpabilisation en disant « il faut faire ceci et pas cela ». Je montre à quel point j’ai pu – et peux encore – être con, et ce que je mets en place pour dépasser ça. À chacun de se reconnaître dans tel ou tel aspect.

En évoquant vos privilèges d’homme blanc, hétérosexuel, issu d’un milieu plutôt favorisé, vous semblez vous inscrire dans le mouvement « woke ». Quel est votre sentiment par rapport à ce terme et à la controverse qu’il suscite ?

Je dois dire que je ne comprends pas du tout les émois autour de ce mot, ni ce qu’il est censé vouloir dire concrètement. Je ne connais personne qui me dit « moi je suis woke ». Ça me semble être un  fantasme conservateur, une distraction pour éviter de parler des problèmes concrets, ou une sorte de crainte que les mouvements sociaux qui s’autorisent à être critiques des inégalités vont tout brûler. Certaines féministes disent parfois « on demande juste l’égalité, pas une revanche ».

Précisément, j’insiste beaucoup dans le livre sur le fait que ce genre de travail n’a pas de fin. Il ne consiste pas à arriver à une étape finale où on acquiert un statut particulier qu’on peut revendiquer. Ce genre d’étiquettes ne m’intéresse pas du tout. Au lieu de passer notre temps à se demander qui est woke ou pas, et si c’est bien ou pas bien, lisons les femmes qui écrivent sur l’égalité, les chercheuses qui démontrent leur existence. Et entendons celles qui sont réduites au silence. Parler d’homme, de blanc… c’est juste penser en quoi ces morceaux d’identité jouent un rôle dans les conditions de vie de celles qui ne les ont pas.

Construire un livre autour de 10 étapes est forcément un peu arbitraire. Si vos lecteurs ne devaient en retenir qu’une seule, quelle serait-elle ?

Je pense qu’un bon début serait l’étape 6, « prendre sa part ». Dans ce chapitre, je fais une liste des attitudes d’esquive masculines typiques. Si on se reconnaît dans au moins l’une d’entre elles, lire le reste du livre est une bonne idée !

Chaque individu a le pouvoir de travailler sur lui-même pour devenir « moins con ». Pourtant, certains problèmes sont systémiques et dépassent le niveau individuel. Si vous pouviez changer une chose dans la société actuelle pour rééquilibrer les relations hommes-femmes, que changeriez-vous ?

L’organisation matérielle des vies, dans le sens où les inégalités ancrées dans la culture sont très difficiles à dépasser quand on est limité dans nos possibilités de survie matérielle. On vit dans des mondes professionnels basés sur la compétition, qui valorisent la performance et l’individualité toute puissante. On récompense les bons élèves, on punit sévèrement les autres… Pour pouvoir s’émanciper des inégalités, il faut pouvoir dire non. Or le monde capitaliste actuel fait tout ce qu’il peut pour empêcher ce mot.

A propos Soraya Belghazi 378 Articles
Journaliste