« Chasser les dragons », voyage au bout de l’enfer artificiel

Chasser les dragons
d’Alexandra Kandi Longuet
Documentaire
Sorti le 20 octobre 2021

La proximité de Liège avec l’Allemagne et les Pays-Bas a depuis longtemps fait de la Cité Ardente un point de rencontre pour de nombreux toxicomanes. Cherchant à canaliser ce phénomène, la Ville ouvrait le 5 septembre 2018 une salle de consommation à moindre risque (SCMR) afin d’encadrer les consommateurs, emboîtant ainsi le pas à d’autres pays comme la Suisse qui créa le premier organisme de ce type à Berne en 1986.

Dès 2019, la réalisatrice Alexandra Kandy Longuet a choisi de s’intéresser à cette installation nouvelle et fortement décriée par le grand public. En suivant l’équipe encadrante ainsi que treize consommateurs, celle-ci aura cherché à apporter un éclairage objectif sur le phénomène que constitue la salle « Såf Ti ».

Chasser les dragons pourra, dans un premier temps, déconcerter le spectateur. Car les premiers usagers de la salle arriveront sourire aux lèvres comme s’ils se présentaient à la boulangerie. On pourra alors s’étonner de cette banalisation apparente du phénomène de consommation de drogue. Cela permettra cependant de mettre en exergue l’un des leitmotivs du film : la dignité.

Car Alexandra Kandy Longuet saura faire preuve d’énormément de retenue pour capturer ce microcosme, insistant sur l’humanité du personnel de Såf Ti aussi bien que sur celle des consommateurs. Derrière la « salle de shoot » se cache en réalité un centre d’accueil, d’écoute et d’aide destiné à favoriser la réinsertion des usagers.

Les consommateurs sont quant à eux parfois bien loin de ce que l’on pourrait imaginer. Derrière certains profils plus « bruts » on trouvera surtout des gens tombés dans la précarité pour diverses raisons. L’un s’étant retrouvé au ban de la société suite à la perte de son emploi, l’autre suite à une rupture sentimentale. D’autres parfois n’auront jamais eu la chance de voir la vie leur sourire.

Beaucoup de ces « âmes égarées » seront même souvent très clairvoyantes quant à leur situation, l’un déclarant : « Avant je pouvais faire mille et une chose. Maintenant je peux en faire une. J’en ai perdu mille en chemin ». Si beaucoup considèrent à tort ou à raison la drogue comme une échappatoire par rapport à leur réalité, Såf Ti leur offre ainsi un encadrement pour les aider à rebâtir une existence. Et Chasser les dragons ne semble jamais réellement complaisant vis-à-vis de ceux-ci, malgré l’approche humaine adoptée par la réalisatrice.

Alexandra Kandy Longuet offre ainsi une réalisation digne voire parfois pudique, notamment lorsqu’un consommateur tombera en désaturation et que la caméra décidera de ne pas le filmer, axant l’image sur le personnel soignant ou les mains du malade. Le personnel lui-même sera constamment montré à l’écoute, tentant sans cesse de créer le dialogue et de resociabiliser ces gens tombés dans la dépendance.

Bien entendu, ce que nous pouvons voir ici n’est qu’un échantillon, la salle comptant 872 inscrits en 2021 pour près d’une cinquantaine de personnes fréquentant les lieux chaque jour. Ainsi, on pourra se demander qui sont les consommateurs n’apparaissant pas à l’écran et s’interroger sur leurs réalités respectives. Seuls n’apparaissent au fond que les usagers ayant accepté d’être filmés, partie visible d’un iceberg dont la surface immergée nous restera donc inconnue.

Quoi qu’il en soit, bien loin d’un misérabilisme auquel nous aurions pu nous attendre, Chasser les dragons dresse un portrait humain et digne de Såf Ti, montrant qu’outre une salle de consommation il s’agit aussi et surtout d’un lieu d’écoute dans lequel les consommateurs établissent une relation de confiance avec le personnel. S’il est finalement difficile de dresser un portrait dévoilant toute la complexité du lieu et de ses « habitués », il n’en reste pas moins un point de départ pour comprendre l’utilité potentielle d’une telle infrastructure.