Brancusi contre États-Unis : What is art ?

Scénario : Arnaud Nebbache
Dessin : Arnaud Nebbache
Éditeur : Dargaud
Sortie : 06 janvier 2023
Genre : Roman graphique

Dix ans après l’exposition de la Fontaine de Duchamp, le petit monde de l’art américain, et surtout les normes institutionnelles sur lesquelles il repose, s’apprêtent à être chamboulés lors d’un procès historique. 1926, Brancusi traîne en justice les États-Unis pour ne pas avoir vu le caractère artistique de son œuvre arrivée d’Europe par cargo, l’obligeant à payer la taxe douanière destinée aux objets utilitaires. La machine s’enraye et commence, alors, un débat sans fin entre experts pour déterminer si le bronze longiforme poli par les mains de l’artiste n’est pas un simple travail d’artisan mais la représentation originale d’un oiseau en plein envol.

Art?

En se réappropriant des faits réels, Arnaud Nebbache ne se contente pas de rendre accessible le jargon juridique, il pose une véritable réflexion sur cette époque charnière de l’histoire de l’art. Faisant dialoguer quelques grands noms du siècle dernier – Duchamp, Man Ray, Satie pour ne citer qu’eux – il pose la question qui, à l’époque, sème la zizanie dans le milieu : qu’est-ce qu’une œuvre d’art ? Ou, après avoir rejeté ce qui était alors immuable – les qualités figuratives de l’œuvre comme valeur de reconnaissance – comment définir l’acte créatif ?

Un rendu visuel original

Sans le rendre trop abstrait, Nebbache parvient à adapter son visuel au sujet. Jouant avec des formes colorées, et s’affranchissant souvent de l’obligation du contour, il étonne le lecteur qui doit sans s’en rendre compte faire un travail de restitution. Le dessin de Nebbache, bien qu’esthétique, est imprécis et tout en suggestivité. Même si il n’y a, dans son ouvrage, aucun problème de lisibilité, il se refuse le trop figuratif, comme si les questionnements de Brancusi étaient aussi devenus les siens. Et dans cette même dynamique, il octroie une place toute particulière aux blancs, qu’il travaille non pas par ajout mais en créant de l’absence de couleur. Pour couronner le tout, il ajuste son dessin selon le narrateur et selon la situation. La retranscription du procès en lui-même devient le carnet d’esquisse d’un Duchamps qui s’érige en dessinateur de presse. Brancusi contre États-Unis est un album intelligent et intelligible dont la fraîcheur graphique a su nous séduire.