Invité à être dans le jury international au Festival du Film Fantastique de Bruxelles (BIFFF), Christophe Gans, le réalisateur du film culte Le Pacte des Loups, nous a parlé de son amour pour la Belgique, de ses projets avortés, de sa passion des jeux vidéo et de la sortie de Return to Silent Hill.
Pour commencer, pouvez-vous nous dire quel est votre rapport avec la Belgique et plus précisément avec le BIFFF ?
Mon rapport avec la Belgique, c’est un rapport d’amitié et d’admiration. Une des choses qui m’a formé, c’est la littérature belge et en particulier Jean Rey. L’un de mes livres culte et de chevet, c’est Les contes du whisky. Une chose fascinante avec Jean Rey, un peu comme avec Clint Eastwood, c’est que j’aimais ça quand j’avais 10 ans et que j’aime toujours ça. Car la plupart du temps, il y a des choses que l’on perd en grandissant, en vieillissant, qui n’ont plus la magie du moment où on les a découvertes.
J’ai commencé avec les Bob Morane chez Marabout et j’ai continué avec les livres de Jean Rey. Henri Vernes, l’auteur de Bob Morane, était d’ailleurs un de ses admirateurs et s’était inspiré de l’univers extraordinaire de Jean Rey pour les aventures de son héros. En tout cas, aujourd’hui, je peux affirmer que Jean Rey est mon auteur préféré et que lire Les contes du Whisky, Malpertuis ou Le livre des fantômes m’a donné l’amour du fantastique. C’est le premier belge à avoir changé ma vie.
Par la suite, j’ai travaillé avec beaucoup d’artistes belges comme Christophe Lemaire, un des co-fondateurs de Starfix (NDLR : magazine de cinéma de genre créé entre autre par Christopher Gans), qui a amené un humour que seul lui pouvait amener, un mélange de surréalisme, de poésie et d’absurde, que seuls les Belges arrivent à maîtriser à ce point-là. Un autre belge important dans ma vie, c’était Gilles Verlant qui était le bras droit d’Antoine de Caunes sur l’émission télé Rapido et que j’ai rencontré lorsque j’ai travaillé pour l’émission Les Enfants du Rock. C’était un type extraordinaire, avec une culture faramineuse. Il était connu, car il faisait les voix off sur Canal plus, mais il s’est tué bêtement en tombant dans un escalier. Il n’y a pas une journée où je ne pense pas à lui.
J’ai aussi tourné avec beaucoup de Belges. Et bien sûr Emilie Dequenne. Elle n’était pas comme les autres, elle était poétique. J’ai dû me battre pour l’imposer sur Le Pacte des loups, car personne n’arrivait à voir cette fille en bottes de caoutchouc devenir une princesse. Mais moi, j’avais été frappé par sa beauté candide et je la voyais bien en fille de Jean Yanne. Il y avait chez elle ce « truc », ce teint, cette tête ronde, un peu enfantine, etc. Et bien sûr, j’avais été épaté par sa performance dans Rosetta. Et il y avait aussi Jérémie Rénier sur le film.
Pour le BIFFF, curieusement, je n’étais jamais venu, même quand j’écrivais dans Starfix, mais je connaissais bien sûr la réputation. Peut-être que ça ne marchait jamais au niveau des dates ou parce que c’était proche du festival de Cannes. Mais je retrouve l’ambiance qu’il y avait au Grand Rex dans les années 70 avec un public qui exulte, balance des blagues, etc. Et curieusement, sans pour autant amocher ou diminuer le film. Par exemple, hier, lors de la projection de The Ugly Stepsister – qui est d’ailleurs un très bon film (NDLR : le jury international dont fait partie Christopher Gans lui a d’ailleurs remis le Silver Raven) – je voyais la façon dont le public s’emparait du film et ça ne gênait personne et ça donnait même au film une couleur spéciale.
Vous parliez tout à l’heure de Bob Morane, que s’est-il passé ?
J’ai pourtant essayé trois fois ! Mais c’est toujours difficile d’expliquer ce qu’il s’est passé au public, les gens pensent que dans le cinéma, quand c’est décidé, c’est fait, on y va, mais non. A l’époque, je travaillais avec le producteur Samuel Hadida qui me suivait sur tous les projets les plus fous. Mais quand on a voulu démarrer Bob Morane, Heath Ledger est mort. Il devait tourner dans L’imaginarium du Docteur Parnassus, mais n’a pas pu finir le film. Les deux films étaient produits par la même société et tous les comptes de cette société ont été bloqués par les assurances. La fois suivante, alors qu’on était en Chine en train de préparer le tournage, il y a eu une grosse épidémie de grippe aviaire qui nous est tombée dessus. Les assurances, sans savoir si c’était une pandémie potentielle, n’ont pas voulu nous couvrir et on a été rapatrié en urgence. Même si on a appris plus tard que ce n’était pas si dangereux, ça a planté le film. Enfin, la dernière fois, alors qu’on était à une semaine de rejoindre la Bulgarie pour commencer la préparation du film, Samuel Hadida est décédé.
On peut prendre aussi l’exemple de 20 000 lieues sous les mers. David Fincher n’y est pas arrivé, James Mangold non plus. Je ne vais pas crier au scandale si moi je n’y suis pas arrivé non plus. Qui suis-je à côté d’eux ? J’ai essayé d’adapter ce livre car j’estimais que cette adaptation de Jules Verne devait être faite par un Français mais à un moment donné, on ne peut rien faire, les astres ne sont pas alignés. J’ai déjà eu de la chance de pouvoir faire les films que j’ai faits. J’essaye toujours de faire des films qui ne ressemblent pas aux autres, c’est ce qui les rend parfois compliqués à monter. Le Pacte des loups, Silent Hill ou même La belle et la bête, ne ressemblaient à rien d’autre. Et j’ai encore d’autres idées tout aussi étranges ou décalées. Mais je touche du bois, pour le moment aucun de mes films ne s’est planté.

Qu’est-ce qui explique alors que le nouveau Silent Hill, Return to Silent Hill soit arrivé au bout ?
Il y a eu le premier qui a bien marché tout de suite. Il a fait 50 millions de recettes aux Etats-Unis et 130 millions à travers le monde alors qu’il en a coûté 30 millions.
Mais j’ai l’impression que premier est surtout devenu culte avec le temps, qu’il n’a pas été si bien accueilli à sa sortie.
Il y a les films qu’on fait et puis qui disparaissent. Il y a de très bons films qui brusquement, 5 ou 10 ans plus tard, plus personne n’en parle. Dans le cas de Silent Hill, quand il est sorti, il a très bien marché, mais il y a eu des gens pour dire que ce n’était pas un film d’horreur, qu’il n’y avait pas de jump scare. Mais moi, j’ai toujours voulu faire un film qui ressemble à un cauchemar, un cauchemar éveillé. Je ne voulais pas faire un film d’horreur. Mais aujourd’hui, il est ressorti aux USA et Shout Factory, un éditeur de DVD, en a fait une nouvelle édition. La presse n’est plus mitigée, c’est un festival de critiques positives, ils disent que c’est un film qui ressemble à un cauchemar. Donc je me dis qu’avec les années, ce qui a pu être des réserves s’est évaporé et le film est resté. Je pense qu’à la longue, les gens ont compris qu’il n’y allait pas avoir beaucoup de films comme ça. C’est-à-dire, un film aussi étrange. C’est ce qui fait aussi la force des films, leur unicité. Un autre film qui a été méprisé à sa sortie, que j’ai été un des premiers à défendre et qui est devenu culte – d’ailleurs, j’ai croisé des gens dans ce festival qui portait un T-shirt de ce film – c’est Possession d’Andrzej Żuławski. Quand il est sorti, les gens l’ont trouvé bizarre, il n’a fait que 120 000 entrées en France et on en a plus entendu parler pendant des années. Et maintenant tout le monde le réclame parce que c’est un chef-d’oeuvre et le pauvre Żuławski n’est plus là pour le voir. C’est parce qu’à la longue, les gens ont fini par comprendre qu’il n’y aurait pas deux films comme ça. Que c’est un truc de dingue. J’ai revu le film, qui est ressorti en France, c’est un vrai morceau de cinéma moderne !
Une théorie du succès toujours présent de Silent Hill, c’est qu’il est toujours mentionné dans les tops des adaptations de jeux vidéo.
En fait, j’ai été adoubé très vite par les fans. Pas parce que j’avais fait la meilleure adaptation de jeux vidéo, mais parce qu’ils ont compris que c’était un geek comme eux qui avait fait ce film. D’ailleurs, ils ont massacré le deuxième parce que le pauvre M.G. Basset (NDLR : réalisateur de Silent Hill: Revelation 3D, une suite sortie en 2012) a eu le malheur de dire qu’il n’était pas comme moi, qu’il ne jouait pas aux jeux vidéo. Avant même qu’il ne fasse le film, c’était fini. Il ne faut jamais dire ça sinon on se fait aligner par les fans. C’est parfois un peu dingue les fans, de vrais psychopathes. A l’époque, quand on écrivait le scénario de Silent Hill avec Roger Avary, on a reçu des menaces de mort. Roger flippait vraiment, il disait tout le temps qu’il allait se faire descendre, qu’il irait dans un magasin de jeux vidéo et qu’un mec l’égorgerait. Mais j’ai eu la bonne idée de beaucoup communiquer là-dessus, de parler de ma passion pour les jeux vidéo sur les forums de fans. Sur le plateau de tournage, j’avais une assistante qui me communiquait les questions posées dans les forums de discussions et je répondais à un maximum d’entre eux. Je pense que ça a contribué largement à la réputation du film, à avoir une bonne réputation vis-à-vis des gamers. Évidemment, quand on m’a proposé d’adapter le deuxième volet du jeu Silent Hill, ça a été très bien reçu, car les fans savaient qui j’étais, que ce n’est pas un énième fonctionnaire d’Hollywood qui allait s’y coller.

Et c’est quoi ce nouveau Silent Hill ? Un remake ? Un reboot ? Une suite ?
Non, ce n’est pas une suite, comme le jeu Silent Hill 2 n’est pas une suite du premier. C’est même une trahison du premier et c’est un truc que j’ai gardé d’ailleurs. Dans le premier, il y avait une dimension parallèle dans laquelle les gens viennent se perdre, un peu comme se retrouver dans une toile d’araignée. Dans le deuxième volet, on comprend très vite que l’univers de Silent Hill est produit par le cerveau désaxé du personnage central qu’on interprète. Quand le premier film de Silent Hill est sorti, le deuxième volet du jeu était déjà sorti et était déjà considéré comme supérieur au premier. Mais ça semblait un trop gros morceau à avaler au vu de la complexité de l’intrigue. On en a beaucoup discuté avec Samuel Hadida et on s’est dit qu’on sortirait d’abord le premier pour mettre en place l’univers et on aurait le temps après de se pencher sur le second.
S’il sort maintenant, c’est sûrement aussi parce qu’il y a eu une évolution du cinéma d’horreur. Que les gens aiment de plus en plus la façon de tordre la réalité, de confronter l’objectif et le subjectif, de passer de l’un à l’autre. Quelque part, le jeu Silent Hill 2 a une modernité qui aurait pu sembler expérimentale, très cryptique, à l’époque du premier. Mais c’est moins le cas aujourd’hui. Je pense par exemple à une série comme Severance. Le public d’aujourd’hui aime ce genre de jeu sur le point de vue, sur la subjectivité et l’objectivité.
Que pensez-vous du fait que les adaptations de jeux vidéo fonctionnent bien maintenant ? Par exemple, le dernier en date Minecraft.
C’est une horrible bouse (rires). Mais c’est vrai qu’il y a un public pour les adaptations au cinéma de jeux vidéo qu’il n’y avait pas il y a 15 ans. Mais personnellement, je trouve que le cinéma est très en retard en termes de budget ou sur les problématiques comme les points de vue moraux (par exemple dans Last of Us 2) par rapport aux jeux vidéo. Il y a maintenant un tel niveau de raffinement et de complexité que le cinéma semble un peu à la traîne. En tout cas, dans Return to Silent Hill, j’ai essayé de maintenir cette ambiguïté qui est, je pense, ce que les fans chercheront à retrouver.
Vous dites être un geek, un gamer, vous jouez toujours autant ?
Oui, bien sûr ! Même si je n’aurai jamais assez d’heures dans ce qui reste de ma vie pour faire tout ce que j’aimerai. C’est compliqué de tout faire même avec une vraie discipline. L’évolution des jeux vidéo aujourd’hui est tellement rapide… Le cinéma, c’est un art du XXème siècle, un peu un art de grand-père. Alors que le jeu vidéo évolue vite, les différentes consoles vont toujours se succéder et s’améliorer. Je comprends que ça excite les gamins, ils ont l’impression de participer à l’évolution de leur époque.
Pour finir, des futurs projets dont vous pouvez parler ?
J’ai plusieurs projets en cours et notamment une nouvelle adaptation de jeux vidéo. Il s’agit de Fatal Frame, qui s’appelle Projet Zero par chez nous.
Et peut-être un jour, Bob Morane ?
J’ai déjà essayé trois fois et je me suis fait une raison. Et surtout, j’aurais préféré le faire du temps où Henri Vernes vivait encore, car il savait que j’étais un grand fan et que je voulais voir l’incarnation de Bob Morane, Tania Orloff ou de l’Ombre jaune.