Batman : Gotham by Gaslight, dans l’ombre de Jack…

Batman : Gotham by Gaslight

de Sam Liu

Animation, Action, Policier

Avec les voix de Bruce Greenwood, Jennifer Carpenter, Chris Cox

En 1989, la société DC Comics lançait un concept d’un genre nouveau appelé à dépoussiérer le comic book et à lui offrir quelques-uns de ses plus grands titres : le Elseworlds. Depuis les années 40 déjà, la société de publication avait établi la distinction entre ses histoires s’inscrivant dans une certaine continuité et celles s’en écartant. Elseworlds constituait en quelque sorte l’aboutissement de cette logique. Le concept était simple : placer les héros les plus célèbres de l’écurie DC dans des univers auxquels ils n’appartiennent à priori pas !

C’est ainsi qu’au fil du temps parurent toutes sortes de récits originaux redéfinissant les personnages que nous connaissons depuis si longtemps. Et si Superman, au lieu d’atterrir au Kansas, s’était écrasé en Russie soviétique (Superman Red Son, 2003) ; et si l’Homme d’Acier, au lieu d’être adopté par les Kent l’avait été par les Wayne, devenant plus tard un Batman doté de super pouvoirs kryptoniens (Speeding Bullets, 1993) ; et si Batman était un pirate au service de la Couronne d’Angleterre (Batman : Leatherwing, 1994) ; et si Bruce Wayne/Frankenstein, médecin mégalomane avait tenté de ressusciter son père pour le transformer en justicier masqué (Batman : Castle of the Bat, 1994) ; et si la Ligue des Justiciers faisait régner l’ordre dans l’Ouest Américain (Justice Riders, 1997) ; et si Green Lantern se heurtait aux gangs New-Yorkais du XIXe siècle (Green Lantern : Evil’s Might, 2002) ?

De nombreuses histoires toutes plus folles les unes que les autres sont sorties de l’imagination de scénaristes et de dessinateurs brillants. L’un d’entre eux, Mike Mignola – le papa d’Hellboy –, alla jusqu’à imaginer dans The Doom that Came to Gotham (La malédiction qui s’abattit sur Gotham, récemment édité en français chez Urban Comics) un univers entièrement calqué sur les écrits d’Howard Lovecraft. Une merveilleuse uchronie réimaginant l’univers entier de Batman avec pour point de départ Les montagnes hallucinées.

Mais venons-en à notre sujet ! En 1989, Mike Mignola fut le premier à publier une histoire imaginée dans cet esprit : Gotham by Gaslight (Appelez-moi Jack ! en français) ou, que se passerait-il si Jack l’Éventreur venait à sévir dans les rues d’un Gotham victorien, trouvant face à lui un Batman tout droit sorti des écrits de Sir Arthur Conan Doyle ? Ce récit eut un succès retentissant et est aujourd’hui encore considéré comme un classique. Un jeu vidéo entra même en phase de développement entre 2009 et 2010, avant d’être abandonné. Il semblait donc normal que ce récit soit le premier Elseworld adapté en vidéo – bien que l’on puisse considérer l’excellent The Flashpoint Paradox (2013) comme apparenté au concept.

Une fois de plus, Sam Liu est à la manœuvre, restant relativement égal à lui-même en terme de réalisation. Ici encore, comme nous le soulignions concernant Teen Titans : The Judas Contract , l’animation est soignée et bien plus fluide que dans certains des précédents films du DC Animated Universe. Question dessin, certains pourront regretter de ne pas trouver un trait plus sombre ou un choix esthétique plus ambitieux, quand d’autres apprécieront le graphisme plus proche de la série Batman des années 1990, plus familière à la majorité des spectateurs.

On appréciera aussi fortement la capacité du scénariste Jim Krieg à intégrer à son récit quantité de subtilités sans tomber dans un fan-service gratuit : Selina Kyle est à Batman ce qu’Irène Adler était à Sherlock Holmes ; les trois Robin – Dick Grayson, Jason Todd et Tim Drake – font office d’indicateurs ; Harvey Dent apparaît logiquement en Jekyll et Hyde ; Leslie Thompkins quitte son rôle de médecin pour devenir une sœur soignant les démunis ; Hugo Strange est un psychanalyste aux méthodes étranges ; Pamela Isley (Poison Ivy) la première victime de Jack, et Cyrus Gold (Solomon Grundy) un truand décérébré.

Mais le plus intéressant est encore que cette adaptation s’éloigne quelque peu du comic book original. Et pour une fois, la prise de risque paie ! Si le comic de 1989 offrait déjà une réinterprétation originale du mythe de Batman, cette réadaptation s’aventure encore un peu plus loin dans cette dynamique, offrant une réelle prise de risque. Le résultat est un film ambitieux, tant dans son scénario que dans son déroulement. On appréciera par exemple la séquence du zeppelin, réellement impressionnante et faisant fortement penser à des monuments de l’animation comme l’excellent Steamboy (Katsuhiro Ōtomo, 2004).

Batman : Gotham by Gaslight, trentième film du DC Animated Universe, s’avère au final être l’un des meilleurs épisodes de la licence ! Riche, peu prévisible et réellement dépaysant, le film ouvre la voie à une quantité d’adaptations susceptibles d’apporter un vent nouveau dans l’univers animé DC Comics. On en viendrait même à espérer un univers étendu basé sur ce Gotham City victorien. En attendant, il nous reste à souhaiter qu’une adaptation de Superman : Red Son verra le jour, conformément aux rumeurs.