Augustin Lebon : « Il fallait que je fasse quelque chose avec mes ‘armes’, avec ce que je sais faire »

Rencontre avec Augustin Lebon, à l’occasion de la parution du premier tome de Résilience aux éditions Casterman.

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Comment est né le projet ?

Il provient de deux envies qui se sont télescopées, bien qu’elles aient mis du temps à se trouver. Plusieurs années auparavant, je n’étais pas sensibilisé plus que ça à l’écologie, puis j’ai vu le documentaire Solutions locales pour un désordre global de Coline Serreau. Je n’en ai pas dormi de la nuit, tellement j’avais l’impression qu’on allait droit dans le mur. Ça m’a travaillé. Du coup, j’ai regardé d’autres documentaires sur le sujet, ce qui m’a poussé à accumuler pas mal de colère, face à un sentiment d’impuissance grandissant. Comme je ne pouvais pas me lancer dans la production intensive de légumes – ce n’est pas mon métier – il fallait que je fasse quelque chose avec mes « armes », avec ce que je sais faire. J’ai donc dû essayer de concilier cela avec mes envies d’auteur de bandes dessinées de genre. Ce qui s’est produit en 2014, après que j’aie envoyé plusieurs projets à l’éditeur avec lequel je travaille sur Résilience. Lors d’une conversation qu’on a eu, il m’a expliqué toutes les qualités qu’il percevait dans ces projets, mais aussi pourquoi il ne les prendrait pas. Il s’agissait de BD de genre, mais sans contexte, il leur manquait un petit quelque chose. Ça faisait un an que je galérais, donc j’ai utilisé ma dernière cartouche en lui décrivant Résilience en 5 lignes. Il m’a dit : « ça m’intéresse, on y va ! ».

Vous avez commencé dans la bande dessinée avec la série Le révérend, aidé d’un scénariste. Sur Résilience, vous occupez également ce poste. Était-ce un besoin ?

Oui. Pour Le révérend, cela ne s’est pas très bien passé avec l’éditeur, donc mon entrée dans la bande dessinée s’est faite de manière assez laborieuse. Je me suis dit que si ce domaine était si compliqué, et vu que cela demande un travail assez long, autant raconter mes propres histoires. C’est pour ça que j’ai d’abord voulu devenir scénariste, pour pouvoir suivre mes envies et mes propres personnages.

Cela vous a-t-il apporté plus de liberté, où au contraire, cela vous a-t-il bridé, dans la mesure où vous saviez que vous alliez devoir tout dessiner ?

(rires) Ça m’a apporté beaucoup, beaucoup, plus de liberté. Surtout que l’univers est créé de toute pièce, vu qu’il s’agit d’une BD d’anticipation. J’en ai voulu parfois, en tant que dessinateur, au scénariste que j’ai été. (rires) En même temps, c’est génial, parce que lorsque l’on commence à dessiner et que l’on signe également le scénario, on est déjà attaché aux personnages. On sait tout ce qu’ils ont vécu, alors que quand on est seulement dessinateur, il faut vivre avec eux jusqu’à les avoir dans le crayon, pour pouvoir s’y attacher petit à petit. J’apprécie de pouvoir dessiner un personnage pour la première fois en l’aimant déjà très fort, et en sachant ce que je souhaite qu’il devienne à la fin. C’est quelque chose qui m’est très important.

Le révérend est un western, Résilience de l’anticipation. Êtes-vous fan de genre ?

Complètement. Les films que je regarde et les BD que je lis avec le plus de plaisir appartiennent toujours au genre. Mais j’aime bien le petit plus qui fait que ce n’est pas juste ça, qu’on sente qu’il y a quelque chose d’un peu plus profond derrière. Étant jeune, j’étais un grand fan des westerns spaghettis, et on y trouve  des éléments très marqués de l’époque, en ce qui concerne les classes sociales. Même si ce n’est pas dit clairement, on sent que c’est là. J’aime quand le genre ne se suffit pas à lui-même.

On retrouve dans Résilience l’influence du récit de guerre, avec notamment la description de différentes formes de résistance…

En fait, j’ai regardé de nombreux documentaires sur le secteur agroalimentaire et j’y ai vu que les Résilients existent déjà. On trouve des gens qui distribuent des graines qui ne sont pas toujours légales, à cause d’un certain catalogue à respecter. L’idée de la résistance est partie de là, ce qui m’a conduit à me renseigner sur celle mise en place lors de l’occupation de la seconde guerre mondiale, afin de pouvoir la rendre réaliste dans mon univers. Cela m’a bien aidé. Les résistants, ce n’était pas qu’une seule opinion, au contraire. Il y avait des gens très violents, d’autres plus en faveur du sabotage ou de la distribution de tracts, dont l’illustration pouvait rendre des dessinateurs résistants. Chacun composait avec son bagage et ses opinions. J’ai trouvé que cette nuance serait intéressante à apporter à Résilience. Je n’ai pas forcément pensé à des récits de guerre, mais du coup ça leur fait forcément écho.

Le quatrième de couverture cite Mad Max, mais l’album a une approche plus réaliste, au final peut-être plus proche du Soleil vert de Fleischer…

Pour être tout à fait honnête, je ne suis pas très friand des premiers Mad Max, parce que, justement, je trouve que l’on y est fort dans le genre, il me manque quelque chose… En ce qui concerne Soleil vert, je ne l’ai jamais vu en entier. J’en ai vu plusieurs bouts, qui à chaque fois me plaisaient bien. Il faudrait que j’arrive à le voir, même si j’en connais déjà toute la fin. Quand on a une thématique d’actualité comme dans Résilience (l’écologie, l’agriculture), soit on le fait de manière très symbolique, au risque de devenir très vite caricatural, soit on crée un monde réaliste, pour amener de la nuance. Peut-être qu’en adoptant un traitement 100% Mad Max, j’aurai trop été dans la caricature. J’ai essayé de faire quelque chose d’un peu différent.

C’est dans ce refus de caricature qu’entre en jeu un personnage comme celui d’Éric qui, bien qu’il travaille pour DIOSYNTA, se révèle plutôt bienveillant ?

Oui, en tous cas il l’est avec le personnage d’Adam. Pour moi, Éric est un compromis. Il fait ce qu’il peut avec ce qu’il a. Il lui faut des gens pour travailler dans la cité du vieux chêne, et il voit bien qu’Adam le pourrait. Plutôt que de le forcer à aller dans les champs, il va lui filer un coup de main pour le mettre à un endroit qui lui en semble plus éloigné. Au final, tout est lié, vu que le héros se retrouve dans un lieu où ils bouffent de la nourriture imprimée. J’aimais bien l’idée d’un personnage qui a essayé de lutter d’une certaine manière à une époque et qui finit par intégrer la hiérarchie pour tenter de la combattre à plus petites doses. Il apporte de la nuance aux personnages d’agriculteurs de l’histoire.

C’est un refus d’être manichéen ?

Oui, en tous cas j’ai essayé, j’espère que c’est perçu comme ça. Dans la situation d’aujourd’hui, on ne peut pas accuser les agriculteurs de tous les maux de la terre et de tous les problèmes environnementaux. Ce serait complètement idiot. Quelque part, eux aussi sont pris au piège d’un engrenage qui les dépasse. Il faut bien qu’ils nourrissent leurs familles et qu’ils payent leurs factures comme tout le monde, donc je souhaitais montrer différent points de vue, sans pour autant qu’ils soient tous sympa et gentils. Il y a quand même des personnages hostiles. Le danger serait de sensibiliser les gens à l’écologie en leur faisant détester les agriculteurs, ce qui ne ferait pas avancer les choses. Il y a un équilibre à trouver pour que tout le monde fasse des efforts dans le même sens.

L’album a un rythme très soutenu. Cela vous permet-il de mieux faire passer votre message ?

Je pense qu’au contraire il passe mieux lors de scènes plus douces, plus tranquilles, comme celle de la décharge, au début de l’album, sur laquelle j’ai eu plusieurs retours positifs. Mais j’ai très peur de pousser à l’ennui. Je doute beaucoup de tout ce que je fais, donc il faut toujours plein d’action, que ça fonce à toute allure. Je veux surprendre le lecteur, l’amener vers la fin sans qu’il ressente jamais l’envie de décrocher. Ça fait partie de mon tempérament. Après, il a également fallu emballer toute la thématique dans une histoire, pour que ça ne soit pas un essai sur l’agriculture et l’écologie, ce pour quoi je ne suis pas du tout qualifié. Il s’agit plus de témoigner de ce que je ressens aujourd’hui, au travers d’une histoire amusante à dessiner et à élaborer.

La fin de l’histoire est d’ores et déjà prévue pour l’année prochaine avec la sortie du tome 2. Est-ce la fin de la série, ou juste d’un premier arc ?

Le deuxième album traite de la vallée des Résilients évoquée dans le tome 1. Il permet de clore un gros chapitre, celui sur la thématique de la semence et des sols. J’ai néanmoins plusieurs idées pour pouvoir reprendre les personnages et leur faire vivre d’autres évènements, quelques années plus tard. Pour moi, l’univers de Résilience est très riche, très dense, et présente une sorte d’état totalitaire qu’il est impossible de faire tomber en deux fois 50 pages. Ce ne serait pas crédible, donc, pour moi, le combat des Résilients ne sera pas terminé au deuxième volume. Les personnages auront vécu une aventure qui trouvera sa fin, mais qui pourra appeler à plus si les lecteurs sont au rendez-vous, et que l’éditeur souhaite continuer la route avec moi.

Quel est l’état d’avancement du tome 2 ?

Le découpage est terminé, est pour être tout à fait précis, je suis en train d’encrer la page 14, sur un total de 56. Les couleurs n’ont pas encore commencé, mais nous avons fait une réunion, Hugo Poupelin (le coloriste, NDLR) et moi, pour voir comment renforcer l’atmosphère ou l’émotion de certaines scènes. Tout avance, lentement mais sûrement. (rires)

Comment se passe le travail avec le coloriste ?

Je pense que je suis assez chiant avec lui. (rires) On fait une pré-réunion où on imagine les ambiances, puis je lui envoie des indications pour chaque page, pour bien définir mes intentions narratives. Il faut éviter qu’il mette en lumière un élément de la case qu’on n’est pas censé lire en premier et qui nuirait à l’information qu’on doit avoir de la lecture. Puis il fait son boulot, de manière assez rapide et professionnelle, et me renvoie le tout, souvent par séquences. À ce moment-là, soit je trouve que tout est parfait, soit je lui demande de faire quelques retouches. C’est un jeu de pingpong, jusqu’à ce que nous soyons satisfaits tous les deux.

Vous œuvrez pour le site Être auteur ou autrice de BD en Belgique (auteursbdbelges.blogspot.be), pouvez-vous nous en dire plus ?

Avec plaisir. Je n’ai que 29 ans et ne suis donc pas un vieux sage de la bande dessinée, mais il se trouve que ma première relation avec un éditeur a été très compliquée. Or, l’éditeur est notre premier contact avec le monde de l’édition, lorsque l’on signe notre premier livre. On n’y est pas forcément préparé. Il y a pleins de choses à prendre en compte, dont je n’avais pas connaissance à l’époque, et que j’ai du apprendre en lisant des documents. Avec Louise Jour, qui est une autrice de BD très talentueuse avant d’être ma femme, on s’est rendu compte qu’il manquait en Belgique un site qui recenserait les informations pour permettre aux jeunes auteurs de démarrer avec un petit bagage. Ça ne fera pas d’eux des businessmen de haut niveau, mais ça peut leur permettre de réaliser certaines choses. C’est dommage que chaque auteur se retrouve seul par manque d’information. Nous avons essayé de ne pas être manichéens, de ne pas présenter les auteurs comme les gentils et les éditeurs comme les méchants. C’est une collaboration, et il faut apprendre à cohabiter.

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