D’après La femme gelée d’Annie Ernaux
Conception Pascale Oudot, Magali Pinglaut, Anne-Sophie Sterck
Jeu : Pascale Oudot et Magali Pinglaut
Du 10 mai au 22 juin 2025
Au Théâtre Le Public
C’est dans une sorte de club de lecture géant, calfeutré, presque clandestin, que nous entrons. Deux comédiennes, inspirées par l’autrice Annie Ernaux et son roman La femme gelée, se sont donné une mission. Non pas celle de nous faire la lecture mais de faire vivre ce récit et cet engagement toujours d’actualité pour l’émancipation de la femme.
La femme gelée, mais bien vivante sur scène
En les représentant toutes, Annie Ernaux parle à chacune des femmes, qu’elles soient mères, jeunes, vieilles, mariées ou non. Pourtant, le livre sorti en 1980 n’a pas immédiatement rencontré son public. En cause, un récit sans doute trop brutal et cru sur la complexité d’être libre, quand on est une femme. C’est au fil des années et au gré de l’évolution de la pensée féministe que cet ouvrage est devenu incontournable. L’autrice y parle de ses racines, de ses expériences et décrit avec réalisme la dépossession de soi, presque inévitable.
Pascale Oudot et Magali Pinglaut donnent tour à tour une voix à ce récit crucial d’Annie Ernaux et aux personnages qui ont marqué sa vie. L’authenticité et la sincérité de leur interprétation sont renforcées par leurs apartés : « à qui le tour ? tu y vas ? tu fais cette partie et moi l’autre ». Bien que déroutantes, ces ruptures semblent représenter une liberté profondément revendiquée par les interprètes, dans leur rapport au texte et à la scène, et à l’image de leur autrice favorite.
Comme elle, Pascale et Magali dressent les portraits de celles qui les entourent. Leur pose sur les photos en noir et blanc ainsi que leur tenue vestimentaire symbolisent une époque lointaine, où l’émancipation de la femme n’était pas un sujet sociétal. Aujourd’hui, il l’est pleinement, on ne parle d’ailleurs plus de liberté mais plutôt d’égalité entre les genres. Pour autant, est-ce que tout a vraiment changé ?
Nous sommes en 2025 et lorsque les affres de la charge mentale féminine, écrites par Annie Ernaux en 1980, sont jouées dans Arrêt sur images, la moitié de la salle se reconnait certainement encore. Les tâches ménagères et le soin apporté aux enfants sont toujours indéfectiblement liés au destin de la femme. Il faudrait encore choisir entre faire carrière ou faire des enfants, faire le bonheur d’un homme ou faire pitié, faire plaisir ou faire la gueule. Annie a fini par choisir et Pascale et Magali nous présentent avec sensibilité ce moment de bascule, où le poids de la société ou du quotidien efface parfois les ambitions.
Symbole d’une lutte
La pièce illustre les désirs différents des femmes et leur déception, mais surtout l’inévitable besoin de s’entraider. On parle actuellement de « sororité », terme qui pouvait s’apparenter autrefois à ceux de l’entraide et de l’amitié.
Toutes les ambitions sont possibles et doivent rassembler et unir les femmes, non les opposer. La littérature est pour cela un terrain d’exploration et d’engagement sans bornes. C’est sur cette considération essentielle qu’Arrêt sur images repose, donnant une dimension encore plus contemporaine à l’œuvre d’Ernaux. Sur scène, La femme gelée est plus que jamais le symbole d’une lutte perpétuelle, pour les femmes et par les femmes.