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    Anges et Cie, une comédie avec des hauts et débat.

    La comédie c’est marrant. Oui, certes. Du moins, on l’espère. Mais, finalement, pas que. Si on se réfère à la vision classique des choses, une comédie c’est une histoire dont la fin est heureuse. Le but étant le même que lors de la recherche du marrant dont on parlait juste avant, procurer de la joie, ne pas sortir de là avec une tronche d’enterrement, oublier quelques instants que tout fout le camp, se dire que ce soir, peut-être qu’on réussira à dormir sans anxiolytique. Une (bonne) histoire étant toujours la résolution d’un obstacle afin d’arriver à un objectif, une fin heureuse peut prendre deux allures. Soit le problème n’en est plus un (Bienvenue chez les ch’tis, Beethoven), soit le bien a triomphé du mal (Shrek, Mission Cléopâtre). Là où la comédie s’éloigne du divertissement pur, de la tête d’enterrement, du tout qui fout le camp et des anxiolytiques, c’est lorsque l’obstacle est une critique sociale. Cette donnée, qui lui a permis d’acquérir une certaine légitimité au XVIIe siècle sous l’impulsion de Molière en francophonie, se résume dans la locution latine castigat ridendo mores, corriger les mœurs par le rire. Bien qu’on puisse penser à L’Avare ou d’autres œuvres datées dans un premier, on retrouve cette idée dans des films qui ont fait l’actualité il y a peu comme Triangle of sadness ou Une année difficile. Et de ce point de vue là, Anges et cie s’inscrit parfaitement dans le registre de la comédie. 

    Alors qu’elle devait être promue archange, Raphaëlle, une ange gardien comme il en existe des milliers, se rend compte qu’un de ses protégés, Paul, est sur le point de rater son mariage à cause d’une grève des transports. Afin de l’amener jusqu’à Rome où la noce est célébrée et ainsi obtenir sa promotion, elle doit faire équipe malgré elle avec Gabriel, l’ange gardien plutôt médiocre de Léa, l’ancien crush de Paul. Et si une problématique sociale ne saute pas aux yeux d’emblée, il y en a une bien présente. Une problématique qui implique directement le fait que Raphaëlle soit perçue comme compétente et promouvable alors que Gabriel est vu comme incapable et franchement proche du bannissement, celle des algorithmes. 

    En effet, la société Anges et Cie, qui donne son nom au film et qui gère grosso modo le destin de l’humanité, se base sur des algorithmes et sur un pourcentage de compatibilité afin de créer des couples. En remettant en cause ce système de tissage amoureux, Gabriel nous invite à repenser notre rapport à tous ces algorithmes qui font partie de notre quotidien, qu’ils soient sur des applications de rencontres ou simplement sur nos réseaux sociaux. Plus globalement même, il nous enjoint à questionner nos désirs, à distinguer ce qui émane véritablement de nous et ce qui a été construit artificiellement par le système capitaliste et son bras armé, la pub. En les montrant comme imparfaits, voire nocifs, le film pose peu à peu les bases d’un ordre, celui des archanges, suivant aveuglement une doctrine dont on observe, nous spectateur, les effets délétères. 

    Cependant, on peut regretter que le long-métrage aille peut-être trop loin dans cette voie, niant presque qu’un imaginaire commun, que des références et des connaissances communes (en somme, des capitaux communs) rapprochent, de fait, deux personnes. Ainsi, en voulant critiquer un ordre établi, le film en vient presque à éluder naïvement la conscience de classe. Et aussi beau que soit le discours selon lequel l’amour est plus fort que tout, il restera toujours extrêmement compliqué de s’imaginer une histoire avec une personne qui n’a ni les mêmes idéaux politiques, ni les mêmes goûts artistiques, ni le même système de valeurs. On peut, cependant, apprécier que cet enjeu sociétal soit une critique quasi directe au mode de fonctionnement des multinationales et en particulier des GAFAM, ou Dieu sait comment il faut maintenant les appeler.

    Maintenant qu’on a mis le doigt sur le problème (la politique des archanges prônant l’efficacité au détriment de l’épanouissement de celles et ceux qui sont finalement les clients d’Anges et Cie), il faut le régler pour rester dans les clous de la comédie. Et c’est sûrement ici que le bât blesse, car au regard de la bande-annonce, même au regard du pitch du film, on peut prédire au bas mot deux bons tiers de comment va se terminer l’histoire. Et c’est globalement le poncif de nombre de comédies : leur fin, et parfois leur développement également, sont aussi attendus que fades. Anges et cie n’évite pas cet écueil. Il y a quand même une originalité de laquelle se ravir, en ce qui concerne cette fin (SPOILER ALERT, CE QUI SUIT RÉVÈLE TOUTE LA FIN DU FILM). On l’a dit plus haut, pour une fin heureuse soit on évacue le problème (ce qui reviendrait à dire « en fait les algorithmes ça fonctionne et c’est chouette » et ça n’aurait aucun sens au regard de la dialectique du film), soit on le surmonte (ce qui reviendrait à faire gagner le point de vue de Gabriel et verrait l’abandon des algorithmes par les archanges). Or, ici, rien de tout cela, mais un choix audacieux, celui de l’histoire qui n’est pas terminée. Certes, Paul et Léa finissent ensemble. Certes, Raphaëlle a adopté la vision de Gabriel. Mais les protagonistes n’ont pas gagné. Ce film ne raconte finalement que la naissance d’une véritable résistance face à l’ordre, établissant Gabriel comme celui qui coordonne des anges gardiens espions. Dans l’incapacité de remporter un affrontement direct, la lutte continue loin du regard des élites, en sous-marin, dans un mouvement incluant petit à petit de plus en plus d’opposants. C’est le fameux « changer le monde sans prendre le pouvoir » voulant que le combat social ne soit pas celle qui se bat pour le pouvoir, mais contre celui-ci. Certes, il est question ici d’amour, de couples, de considérations assez légères ensemble. Mais cette fin peut ouvrir un horizon de perspectives à bien d’autres égards. 

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    Anges et CieRéalisateur : Vladimir RodionovGenre : ComédieActeurs et actrices : Élodie Fontan, Romain Lancry, Julien PestelNationalité : FranceDate de sortie : 7 mai 2025 La comédie c’est marrant. Oui, certes. Du moins, on l’espère. Mais, finalement, pas que. Si on se réfère à la vision classique...Anges et Cie, une comédie avec des hauts et débat.