Titre : Gabrielle Münter, les terres bleues
Auteur.ice.s : Mayte Alvarado
Edition : Seuil
Date de parution : 04 avril 2025
Genre du livre : Roman graphique
Ses peintures colorées sont restées dans l’ombre de celle de son amant. En même temps, il est dur de rivaliser quand l’homme avec qui vous partagez votre couche s’appelle Vassily Kandinsky et est considéré comme l’un des artistes les plus importants de son siècle. Rien que cela. Pourtant, Gabrielle Münter qui, avant de nouer avec le peintre russe une relation plus intime fut son élève, n’était pas non plus dépourvue de talent. Ni de réseau. Et encore moins de valeurs.
L’artiste qui s’est fait un nom parmi les expressionnistes allemands utilisait des aplats de couleurs aux contours mouvants pour représenter des paysages qui semblent échapper à l’immobilité de la toile. C’est donc un véritable défi que se lance Mayté Alvadaro qui, en décidant de lui consacrer un album, ne peut ignorer l’univers singulier de son sujet. Pour lui rendre justice, l’autrice prend le parti de la couleur.
Elle privilégie une palette vive qui donne à la campagne allemande qui a tant inspiré Gabrielle Münter, un côté électrisant. Il faut dire que Mayte Alvarado maîtrise l’art des ambiances qu’elle travaille grâce à d’habiles associations de teintes. On reconnaît la source d’inspiration. Et, à la fois, l’autrice espagnole parvient à se détacher juste ce qu’il faut de son modèle pour pouvoir affirmer ses propres singularités artistiques. Visuellement, l’album est une réussite.
L’autre challenge auquel est confrontée la bédéiste est celui de faire tenir en une petite centaine de pages, la vie mouvementée de cette octogénaire. Et la solution qu’Alvarado a trouvée est celle de diviser son existence en saisons. Enfin, c’est ce que semble indiquer les chapitrages génériquement titrés « hiver », « printemps », « été » et « automne ». Mais si ces périodes de l’année se succèdent dans un ordre banal parce que chronologique, les événements qui y sont racontés, eux, ne se suivent pas.
Le parcours de l’artiste s’ouvre sur une période glacée de son existence, marquée par la menace que fait peser Hitler sur ce qu’il nomme l’art dégénéré. Mais dès le retour des beaux jours, le calme semble déjà s’être rétabli. Comme si le temps d’une saison, plusieurs années s’étaient écoulées. Et avant d’avoir pu vraiment prendre la mesure de ces sauts temporels, on termine la lecture sur une Gabrielle Münter, les cheveux grisonnants, à l’automne de sa vie. Et les manœuvres d’Alvarado qui semble chercher l’originalité dans l’organisation de cette biographie, ne s’arrêtent pas à ce jeu sur le temps. Les saisons ont un secret.
Chacune d’entre elle a été inspirée par une ou plusieurs œuvres dont le lecteur curieux peut découvrir la liste en fin d’album. C’est, par exemple, La vue de la fenêtre de Griesbau – avec sa route principale semblant s’ouvrir en un mouvement, comme une invitation – qui symbolise le printemps. Mais le retour des beaux-jours est aussi propice aux flâneries dans l’herbe que capture Gabrielle Münter dans Jawlensky et Werefkin. L’automne, quant à lui, est un Arbre au bout de la Seine, imbibé de pérégrinations parisiennes. Et l’été, Une promenade en canot. Bien-sûr !