D‘Alain Leempoel
Avec Daniel Hanssens, Laurence D’Amelio, Marc De Roy, Michel Hinderyckx, David Leclercq, Virgile Magniette, Christel Pedrinelli, Pierre Poucet, Dominique Rongvaux, Shérine Seyad, Robin Van Dyck, Jean-Michel Vovk.
Du 30 avril au 25 mai 2025
Au Théâtre des Galeries
Kean, l’acteur le plus célèbre d’Angleterre, est en pleine midlife crisis tragique. Il perd son sublime. Sa splendeur n’est plus ce qu’elle était jadis. A la fois nourri et consumé par les personnages shakespeariens auxquels il est voué corps et âme, arrivera-t-il à ses fins ?
Le Théâtre Royal des Galeries présente Kean, Désordre ou génie d’Alexandre Dumas (1836) et adaptée par Jean-Paul Sartre (1953). C’est l’histoire de la crise existentielle d’un comédien fauché, toujours en gueule de bois, pathétique, violent, manipulateur et menteur compulsif. Sa gloire en tant que meilleur acteur shakespearien d’Angleterre se tarit ; c’est le crépuscule d’un dieu. Kean incarne parfaitement le personnage romantique : il navigue entre le sublime et le grotesque, il est habité par des passions qu’il ne peut pas contrôler car elles sont dictées par des entités qui le dépassent (l’alcool, les femmes et Shakespeare), il signe un pacte faustien, il a un rapport ambivalent envers l’argent et le pouvoir, on le présente comme un « génie », c’est un individu torturé et en perte de repères qui se voit donc dans l’obligation de vivre à travers des êtres de fiction. Avec l’apport de Sartre, des couches existentialistes sont ajoutées : par des procédés de mise en abyme, la pièce porte de nouvelles ambitions méta-théâtrales (le théâtre pense le théâtre) et Kean évolue dans un environnement où les frontières entre fiction et réalité sont poreuses.
Ces thèmes pourraient clairement éveiller de l’intérêt, mais force est de constater qu’ils sont traités par les prismes et les codes d’un autre temps. C’est une chose d’aimer Shakespeare, l’aimer à la mode romantique en est une autre. C’est aussi une chose de réfléchir sur le théâtre, y réfléchir comme Sartre en est une autre. Les temps ont changé, les problématiques que posent le théâtre ont changé, la place de l’acteur dans la société a changé. Qui peut encore considérer l’artiste comme un démiurge, ou employer sérieusement des termes comme « génie » ou « intemporalité » pour décrire l’artiste et son œuvre ?
En outre, peu de choses sont mises en place pour prendre de la distance avec le texte, ni pour l’éclairer d’un certain regard : malgré quelques moments de poésie, il est fait de clichés (« Ciel, mon mari ! ») et de complaisance pour la misogynie et le féminicide (Kean à Eléna, « Je vous étranglerais si gentiment » ; Kean à Anna, « Sais-tu que tu ferais une morte ravissante ? »). Dieu est mort, la période romantique aussi. Nul besoin de s’en consoler.
Pour ce qui est du positif dans la création, le travail scénographique de Lionel Lesire est remarquable. Les tableaux sont très bien construits et structurés par de gigantesques volumes des œuvres de Shakespeare et par des miroirs (des miroirs classiques et des miroirs sans tain) qui font écho aux thèmes réflexifs et à la mise en abyme du théâtre. Les costumes, créés par Françoise Van Thienen et son équipe, sont également magnifiques. La création lumière de Laurent Comiant est sobre, sauf pour le dernier acte où un ton spectral offre un excellent rendu. En ce qui concerne les performances des comédien·nes, Daniel Hanssens (dans le rôle-titre) et Laurence d’Amelio (Eléna) ont certainement une présence magnétique sur scène, mais Shérine Seyad (Anna Damby) est la seule qui nous a le plus convaincu. En effet, il nous semble que son expérience dans le doublage lui aura été bénéfique pour mettre du contraste et de l’amplitude à son jeu, ce qui a permis d’apporter beaucoup de vie sur les planches.