De Ann Veronica Janssens
Avec Léone François
Du 25 mai au 29 mai 2025
Aux Brigittines
Dans le cadre du KunstenFestivalDesArts
L’artiste plasticienne affronte la scène pour la première fois et propose une expérience immersive élaborée à partir des manuels d’installation de ses œuvres. On retrouve dans ce spectacle, présenté aux Brigittines dans le cadre du KunstenFestivalDesArts, les éléments majeurs de son travail: le temps, la couleur et la lumière.
Pendant que le public prend place, deux poursuites de lumière parcourent le mur du fond de l’espace scénique totalement nu. L’écran affiche « Fantaisie transparente » puis énumère, en même temps qu’une voix (off, pour le moment), les instructions d’installation de l’œuvre de Ann Veronica Janssens, détaillant leurs caractéristiques techniques et les effets possibles. La lecture du manuel d’installation permet à la sculpture de s’insinuer dans l’esprit des spectateurs, créant un dialogue singulier entre réalité et imagination.
C’est une nouvelle expérience pour Ann Veronica Janssens qui n’a jamais abordé l’expérience du spectacle vivant en tant que créatrice. Elle a, en effet, collaboré, à plusieurs occasions, avec des chorégraphes comme Pierre Droulers et Anne Teresa De Keersmaeker pour qui elle conçoit la scénographie de plusieurs spectacles de danse contemporaine tels que « Keeping Still » (2007), « The Song » (2009) et « Cesena » (2011). « Mais j’avais un problème avec la distance, dit-elle, parce qu’on ne pouvait pas pratiquer mes expérimentations. Elle devenaient des choses à regarder, et non plus à expérimenter ». Ici, contrairement aux expositions dont la plasticienne est coutumière, le public ne déambule pas. Le spectateur est calé dans son fauteuil et assiste à quelque chose de vivant mais non biologique.
D’autres textes suivent, dits par la comédienne Léone François Janssens, fille de l’artiste, poussant la précision des instructions dans la citation de la marque et du modèle des éléments techniques utilisés et, même, concernant des cartes mémoire, l’endroit où il est possible de se les procurer et leur prix. Au-delà des caractéristiques purement techniques, les textes partagent des réflexions ou des commentaires qui évoquent la démarche artistique qui a présidé à la création de chaque œuvre. « La couleur devient impalpable, comme un fantôme de la peinture. »
Depuis ses débuts, les travaux de Ann Veronica Janssens impliquent la mise en œuvre de protocoles techniques particuliers. L’artiste a donc rédigé des manuels d’installation très fournis en matière d’informations et qui se sont encore enrichis au fil du temps. Ces manuels, une cinquantaine au départ, constituent aujourd’hui une sorte de catalogue des œuvres de la plasticienne. L’idée est de partager, par le son et la voix, ces modes d’emploi pour permettre à chacun de reproduire sa version, imaginée, des œuvres. Et, parfois, la technique amène ses composantes poétiques ou humoristique.
La lecture des descriptifs sur scène est parfois interrompue par des commentaires écrits par différentes personnes, particuliers, critiques ou historiens de l’art. Un texte de Philippe Bertels écrit pour le catalogue de l’exposition « Grand Bal » à Milan en 2023, s’immisce également dans les lectures. C’est une fiction, la description d’une salle où se trouve seulement une ampoule allumée. « A partir de là, on peut tout raconter, explique son auteur, l’espace, l’univers, tout peut susciter le délire ».
L’expression « 50 km of atmosphere to give a deep blue » (50 km d’atmosphère pour créer un bleu profond) fait référence à l’épaisseur totale approximative de l’atmosphère terrestre (environ 50 km jusqu’à la stratosphère) qui est responsable de la couleur bleue profonde du ciel que nous percevons. Ann Veronica Janssens a emprunté cette phrase à Alexandre Wajnberg, journaliste scientifique, musicien et auteur de « 8 minutes 19 secondes » (le temps que la lumière prend pour parvenir de la surface du soleil à notre œil). Pour elle, cette expression est une manière de décrire la réalité.
Cette expérience nouvelle qui est imprégnée des éléments chers à Ann Veronica Janssens, le temps, l’espace, la lumière, part de formes objectives, les œuvres, pour glisser vers d’autres temporalités. La proposition textuelle, composée de différents registres de texte (description, commentaire, fiction) , constitue, selon l’artiste, une constellation où tout est au même niveau. Cette perte, intentionnelle, de repères, permet que se créent de nouvelles versions dans l’imagination du spectateur.
Alors que la couleur est omniprésente dans son travail, elle est quasi absente dans ce qui s’apparente presque à une épure, l’artiste en assumant ce côté plutôt aride. « On porte en soi la lumière, le mouvement, l’espace. La lumière est un matériau plastique radical sans effet de séduction et si la lumière arrive c’est individuellement, chez chacun. »