Écrit par Albert Boronat, Juan Cavestany, Andrés Lima et Juan Mayorga
Mise en scène Andrés Lima
Avec Blanca Portillo, Alba Flores, Guillermo Toledo, Antonio Durán “Morris”, etc.
Le 25 octobre 2025
Au KVS
Le spectacle 1936 est une création d’Andrés Lima et du Centro Dramatico Nacional présenté dans le cadre du festival Europalia Espana. Comment raconter cette pièce impressionnante de 4h15 comprenant deux entractes, une quinzaine de jeunes chanteurs et chanteuses, 7 ou 8 acteurs et actrices, plus d’une trentaine de personnages, trois écrans vidéo, et ayant l’ambition de décrire en long et en large les années de guerre que vécut l’Espagne du 18 juillet 1936 au 1er avril 1939 ? Tentons l’expérience.
Le public est réparti dans la salle et sur scène, deux estrades permettant d’être au plus près de l’action. C’est de là que j’ai pu vivre ce spectacle, traduit en français et en néerlandais. La première chose qui vient à l’esprit, pour raconter 1936, c’est le rythme hallucinant et l’énergie du collectif. Une scène n’a pas le temps de se finir que la suivante se met en place, les images d’archives emplissent elles-aussi l’espace visuel sur tous les écrans. C’est un défilé constant de saynètes multipliant les points de vue qui permettent, mises bout à bout, de se faire une idée de la complexité de cette guerre civile qui fit plus d’un million de victimes.
Andrés Lima a l’ambition monumentale de raconter une guerre, pas simplement du point de vue des « perdants », c’est-à-dire de la République, du Président et des sympathisants communistes ou d’extrêmes gauches, mais aussi de celui qui l’a gagné, Franco, et des mouvements de droite. Je ne peux que vulgariser d’une manière grossière le propos, non pas que le spectacle ne soit pas clair, mais tant les informations brassées sont nombreuses, passant de l’anecdotique au général, d’un point précis (quelles familles espagnoles financèrent la guerre) à un sujet qui touche tout le monde (la faim et ses conséquences sur la population).
1936 ne devrait-il être vu que si l’on est de nationalité espagnole ou accompagné d’un.e Espagnol.e connaissant l’histoire de son pays ? Si certains passages, notamment des listes de noms, n’évoqueront pas grand-chose aux non-initiés, la scénographie est claire, la mise en scène ne s’attarde de toute façon jamais et ne laissent donc personne de côté, qu’on s’y connaisse ou non.
1936 est un spectacle qui s’appuie sur le meilleur du théâtre. Les acteurs et les actrices jouent vraiment sur scène, sans mettre à distance leur propos en permanence comme dans le pire du théâtre performatif. Franco est représenté avec sa voix fluette, la démarche légèrement avachie, de même que ses généraux, mais aussi toute une série de personnages. Les changements de costumes sont innombrables, des femmes jouant des hommes, les acteurs et actrices interprétant plusieurs rôles. Le sentiment de connexion entre tous et toutes est palpable, et d’autant plus lorsqu’on se trouve sur scène, avec eux et elles. Dans les yeux, les visages de cette troupe, il y a une tension (exacerbée dans cette scène de bombardement dans le théâtre) mais aussi un vrai plaisir, un honneur d’être là pour parler de cette guerre qui défigura l’Espagne et qui continue à faire parler d’elle, au fur et à mesure de la découverte de fosses communes.
On est donc porté par le feu et la grâce, on découvre avec horreur des épisodes inédits, on rit noir dans cette scène entre Franco et son père, on s’amuse de la personnification de la guerre elle-même par cette vieille dame de 90 ans, on est impressionné par l’âge et l’agilité de certains comédiens, qui courent et qui foncent autant que les autres, dans un mélange intergénérationnel rarement visible en Belgique. Le spectacle, qui amène parfois les larmes aux yeux, se termine avec de multiples standing-ovations, tandis que des échos avec la guerre menée par Israël en Palestine sont inévitables. L’équipe artistique termine en déposant des drapeaux palestiniens sur leur dernière scène, l’image d’un charnier où reposent des centaines de personnes enterrées sous un énorme drapeau, symbole de la République. On sort de là ému, enjoué, l’énergie et les paroles des musique et de la troupe en tête.
