Violette Nozière, vilaine chérie chez Casterman

Violette Nozière, vilaine chérie couverture

scénario : Eddy Simon
dessin : Camille Benyamina
éditions : Casterman
sortie : 15 janvier 2014

Pendant l’entre-deux guerres, Violette Nozière, dix-huit ans, décide d’empoisonner ses parents. Elle a besoin d’argent pour mener la grande vie, mais le revenu moyen de son père, chauffeur de chemin de fer, ne le lui permet pas. Par cet acte, elle espère toucher la pension de son père. Déjà l’objet d’un film de Claude Chabrol, sorti en 1978 avec Isabelle Huppert dans le rôle-titre, ce fait divers a droit, cette fois-ci, au traitement BD, illustré par Camille Benyamina et écrit par le journaliste Eddy Simon.

Au début, le pitch intrigue, mais très vite, le lecteur se rend compte que Violette, sans être un monstre, vit dans un monde inventé de toutes pièces, dans sa tête : un univers dans lequel sa volonté fait office de loi. Ses parents, dont elle a honte, constituent un obstacle entre elle et ses escapades. Elle décide de les empoisonner, là où d’autres penseraient à trouver un job, ou tout simplement tomber en cloque et forcer le géniteur à prendre ses responsabilités. De toute l’histoire, c’est la simplicité avec laquelle elle prend cette décision qui est frappante. Ce fait-divers est un exemple de la banalité du mal. Elle parvient à son but à la deuxième tentative. A moitié, puisque seul son père succombe.

Celui-ci est mécanicien aux chemins de fer ; mais à tous ses amis d’un lycée huppé parisien, elle dit qu’il est ingénieur au sein d’une compagnie ferroviaire, tandis que sa mère occupe un haut poste dans une maison de haute couture de la ville. Violette, du haut de ses dix-huit ans, voit ses parents comme des « imbéciles » avec qui « tout es minable ».

D’une planche à l’autre, on découvre la double vie de Violette. A un moment, on suit la femme fatale qui défile dans les cafés de Paris, offrant occasionnellement son corps à des hommes dont elle pourrait être la fille. A un autre, on est désarmé par l’enfant pourrie gâtée par son papa gâteau qui sait que sa fille rêve de plus qu’il ne peut lui offrir. Visage de l’innocence même, Violette arrive toujours à ses fins. Elle parvient à s’extirper de toutes les situations, même lorsque sa mère la met face à ses mensonges et à sa réputation de fille aux mœurs légères. Enfant précocement séductrice, ado déjà femme fatale, Violette Nozière n’aime qu’une chose : raconter des histoires aux autres.

L’illustration par Camille Benyamina est d’une élégance folle. Elle est soignée et, d’une case à l’autre, d’un trait de rouge à lèvres, Violette passe de l’enfant à la femme. Malheureusement, en se concentrant sur les jours précédents le crime, les auteurs passent à côté de l’occasion d’aborder ce qui a transformé ce fait divers en fait de société. Pour la petite histoire, l’affaire Violette Nozière souleva les passions et marqua une société encore dominée par les hommes (ironie du sort, Violette fut condamnée par un jury composé uniquement d’hommes pour un crime de parricide). Ils manquent l’occasion d’illustrer les débats que ce procès provoqua, alors, au sein de la société civile, sur des sujets aussi divers que la place de la femme, la logique de tabou entourant l’inceste, la connivence entre la justice et les médias. Mais cette affaire illustre, également, le clash entre une génération marquée par la grande guerre et celle de leurs enfants qui recherchaient le plaisir, le divertissement et la vie facile. Victime de sa beauté, de son temps, Violette le fut encore plus d’une société qui refusait d’accepter qu’elle avait donné naissance à « ce monstre ». Et c’est ce qui manque à cet album, qui n’en reste pas moins époustouflant esthétiquement ; mais, le sentiment que les auteurs sont passés à côté de l’histoire domine. Encore plus, lorsqu’on réalise le potentiel d’ancrage de l’histoire dans les débats qui divisent la société d’aujourd’hui.

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