Quand vient la nuit de Michael R. Roskam

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Quand vient la nuit (The Drop)

de Michael R. Roskam

Thriller, Drame, Policier

Avec Tom Hardy, Noomi Rapace, James Gandolfini, Matthias Schoenaerts, John Ortiz

Sorti le 24 septembre 2014

Après Rundskop (2011), son puissant premier long-métrage, on attendait Michaël R. Roskam au tournant. Surtout lorsqu’on apprend que le réalisateur a délaissé la Belgique pour les bras des USA. Effectivement, après de nombreux prix et un succès international, le département indépendant de la Fox – Searchlight – n’a pas attendu bien longtemps pour mettre le grappin sur notre réalisateur aux grandes promesses. Les producteurs lui offrent alors tout ce qu’il faut pour réaliser un nouveau film encore plus magistral que le précédent : une brochette d’acteurs de rêve (Tom Hardy, James Gandolfini, Noomi Repace, Matthias Schoenaerts, John Ortiz), et un scénario de Dennis Lehane, adaptation de son propre roman Animal Rescue, écrivain et scénariste qui a déjà maintes fois fait ses preuves au cinéma (Mystic River de Clint Eastwood, Gone Baby Gone de Ben Affleck ou encore Shutter Island de Martin Scorsese).

Tant d’espoirs pour un seul film, donc. Mais, au final, qu’en reste-t-il réellement ?

Suivant les traces de ces monstres du cinéma, Roskam livre un film sous la forme d’un thriller dramatique. L’histoire est celle d’un barman taciturne, Bob Saginowski (interprété par Tom Hardy), dans les bas-fonds de Brooklyn. Suite à la découverte inopportune d’un bébé pitbull dans une poubelle et au braquage de son bar utilisé par les mafieux du quartier comme « money drop » (bar-dépôt pour leurs blanchiments d’argent), il se retrouve involontairement mêlé à des histoires douteuses.

À l’allure d’un simple thriller policier, The Drop est en réalité bien plus ambitieux. Évoquant le film noir, il est un labyrinthe au cœur de la psychologie d’un homme. Cela vous rappelle vaguement quelque chose ? C’est parce que c’était déjà le cas dans Rundskop où le personnage de Matthias Schoenaerts était, là, décortiqué avec une maîtrise bien plus brillante. Première déception donc. Manque d’audace de la part du réalisateur ou impossibilité de se détacher de son premier film ? Dans tous les cas, les échos sont bien présents. Dès les premières secondes du film, le souvenir de Rundskop apparaît : un plan flou, une voix en son off, l’incertitude de l’identité du narrateur, le mystère qui s’installe.

Mais si The Drop a à envier à Rundskop, il n’en reste pas moins que l’étincelle prend. Au travers des aventures de Bob, une tension se dessine en creux. Sous tous ses aspects, d’un tour de force, le film pousse le spectateur au ressenti, au palpable. Par son travail de mise en scène parfois audacieux, Roskam se joue du flou, laissant en suspens le dévoilement des éléments. Le spectateur est tenu en haleine. Les décors prennent alors part entière de la narration, créateurs de tension et générateurs de compréhension. Si Roskam a délaissé sa patrie pour les États-Unis, il garde tout de même cet élément typique du cinéma belge. Et au milieu de ceux-ci, comme un jeu de piste où l’idée de rédemption est omniprésente, le film se construit en puzzle. Le spectateur suit, enivré. Le scénario se démultiplie, entre l’histoire du chien adopté et les magouilles d’argent. Petit à petit, chacune des pièces se rejoint aux autres pour former un film noir et intelligent. Loin de rester passifs, nous nous retrouvons, nous spectateurs, dans le noyau de cette tension, à tenter de tout reconstituer, l’esprit parfois crédule parfois suspicieux, et finalement, à l’instar d’un mouvement de caméra à 180°, retournés et dupés par l’inattendu.

Le pari avec le spectateur est donc bien rempli. Et quand le rythme du film manque de fluidité, son unité persiste sans aucun doute grâce aux dialogues – qui ne sont pas sans rappeler le travail de Lehane comme scénariste dans la série The Wire – et à l’incroyable performance des acteurs (mention spéciale à Tom Hardy). De leur alchimie se dessine un tourbillon d’énergies, créant une seule voix s’exprimant à l’unisson. Pour l’anecdote, rappelons que ce film fût le dernier de l’acteur James Gandolfini – entre autres connu pour son rôle dans la série Les Sopranos – décédé en juin 2013. Ce sont probablement ses mots qui résonnent avec le plus d’ampleur.

The Drop porte donc quelques maladresses. Mais malgré le souvenir de son brillant grand frère Rundskop – qu’il n’atteint malheureusement pas –, ce film à la construction subtile et au casting parfait est indéniablement absorbant. Il y règne quelque chose d’authentique lorsque la tension nous prend au ventre et nous secoue entre le plaisir et le risque. Regarder The Drop, c’est un peu comme caresser un doux pitbull avec la peur constante de se faire mordre les doigts.

A propos Lise Mernier 11 Articles
Journaliste du Suricate Magazine

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