Les Vaisseaux frères de Tahmima Anam

auteur: Tahmima Anam
édition: Actes Sud
sortie: octobre 2017
genre: roman

Fraîchement diplômée, Zubaïda, jeune paléontologue, se voit obtenir une bourse pour une mission au Pakistan. Ces recherches portent sur une espèce de baleine disparue il y a cinquante millions d’années et pourraient mettre à jour certaines étapes lacunaires de l’évolution. La veille de son départ, elle rencontre à Harvard, Elijah, un Américain pour lequel elle aura un coup de foudre terrassant. Zubaïda est cependant promise à un autre homme au Bangladesh, son pays d’origine, où elle devra retrouver sa famille et fonder la sienne à son retour. Partagée entre passion et raison, entre amour et traditions, la jeune femme devra faire des choix. A cette situation douloureuse et inconfortable s’ajoutent des questions liées à ses origines nébuleuses qui refont surface. C’est le moment de vérité avec ses parents adoptifs, son histoire et son destin.

Ce qui frappe le lecteur lorsqu’il referme ce livre sont les nombreux parallèles qui jalonnent le récit et amènent à la réflexion. Tout d’abord, le fait qu’une jeune femme entreprenne des études sur les origines du monde alors qu’elle-même, enfant adoptée, ignore tout de ses propres racines. De là, découle également une belle analyse sur le ressenti des enfants adoptés, leurs craintes et leur peur du rejet mais aussi sur celui des parents adoptifs, qui en fin de compte, est tout à fait identique.

Ensuite, on observe cet incroyable abîme entre d’une part la vie d’une étudiante aux États-Unis, terre de libertés (enfin ça dépend pour qui!), au cours de laquelle s’écoulent de douces années à étancher sa soif de connaissances, à écumer les bars, à s’amuser, à picoler, à rencontrer et à vivre sans contrainte. Et d’autre part, on suit la même jeune femme à son retour au Bangladesh. Certes, Zubaïda est issue d’une famille adoptive ouverte à ce qu’elle fasse des études mais le Bangladesh reste un pays de traditions où les mariages sont arrangés par les parents, où tout est strictement codé et étiqueté et où la seule pièce où une femme est libre de faire des folies reste la cuisine.

Et finalement le contraste saisissant entre la pauvreté extrême d’une partie de la population bangladaise et la situation de familles fortunées comme celles de Zubaïda et de Rachid, son futur époux.  Alors que ces dernières sont capables d’envoyer leurs enfants entamer des études à l’étranger, les autres sont incapables de trouver de quoi nourrir la chair de leur chair et sont prêtes à faire les boulots les plus difficiles et dangereux pour y parvenir.

Cependant, malgré ces sujets interpellants, cette lecture est compliquée. Les événements se succèdent à une telle cadence que le récit, qui commence sur de bonnes bases, a tendance à se perdre au fil des pages. Le lecteur est baladé à travers une foison de villes, villages et autres endroits du globe moins bien définis, où les (trop) nombreuses péripéties se concluent souvent de manière rocambolesque. Il est également laborieux de suivre qui est qui parmi tous les personnages qui sont nommés et qui, pour le plus grand tourment du lecteur, sont aussi surnommés !

Un conseil : enfermez vos enfants à la cave, faites sortir le chien, débranchez mémé, le smartphone et autres perturbateurs intempestifs et enfoncez vos boules Quies. Vous voilà prêt à entamer Les Vaisseaux frères ! Vous l’aurez compris, une certaine concentration est de rigueur pour attaquer cette lecture. Parce qu’entre une vieille baleine qui marche, des militaires pakistanais très vilains, des carcasses de bateaux, des saris colorés, un amoureux transi, un piano à queue, un fou, des pooris (miam!) et le leader islamiste Ghulam Azam… il y a de quoi perdre pied.

Intéressant et magnifiquement documenté – on soulignera à ce propos le travail soigné de la traductrice, Sophie Bastide-Foltz, qui explique en notes très brèves la signification de nombreux termes utilisés par l’auteure – certes, mais un peu trop touffu. A vous de voir si l’embarcation à bord de ces Vaisseaux frères vous tentera…