Un pigeon perché sur une branche philosophait sur l’existence

un pigeon perche sur une branche affiche

Un pigeon perché sur une branche philosophait sur l’existence

de Roy Andersson

Arthouse

Avec Holger Andersson, Nils Westblom, Charlotta Larsson, Viktor Gyllenberg, Lotti Törnros

Sorti le 13 mai 2015

Cela ressemble au titre de la toute dernière fable de La Fontaine (comment ça Jean est mort il y a 320 ans ?), mais il n’en est rien. Avec ce film récompensé du prestigieux Lion d’Or à la Mostra de Venise en 2014, Roy Andersson clôture sa trilogie des vivants composée de Chansons du deuxième étage (2000) et Nous, les vivants (2007). Il se murmure même que cela vire à la tétralogie puisque le réalisateur suédois poursuit sa réflexion sur l’existence humaine dans un nouveau film… à ne pas espérer avant 2022 si l’on se fie à sa cadence de travail.

Ça raconte quoi ?

Expliquer Un pigeon perché sur une branche n’est pas chose facile. Le plus simple est encore de procéder avec méthode.

Ce que vous verrez : les non-aventures de Jonathan et Sam, deux vendeurs d’articles de divertissements à la mine apathique respectivement incarnés par Nils Westblom et Holger Andersson, tous deux aperçus dans Nous, les vivants. Ils forment l’aboutissement d’une longue tradition de duos masculins fonctionnels dans leurs dysfonctionnements : Don Quichotte et Sancho Panza, George Milton et Lenny Small (Des souris et des hommes de Steinbeck), Laurel et Hardy – voire Minus et Cortex si l’on ose la référence populaire. Jonathan est pompeux, Sam est sensible et geignard ; Jonathan et Sam veulent apporter du bonheur aux gens avec leurs trois articles de fête. Malgré les échecs, ils continuent de croire en des lendemains plus rentables.

Ce que vous verrez aussi : trois saynètes à propos de la mort ; une intimidante prof de flamenco abusant d’un de ses élèves masculins ; un habitué du bar de Lotta la boiteuse ; l’apparition anachronique dans un bar de Charles XII de Suède, considéré à titre posthume comme le dernier Viking (dans un style plus post-Louis XIV que post-Ragnar Lothbrok). Beau comme un tableau animé, le roi flirte avec un jeune homme avant d’aller occire les Russes… et fait la file pour aller aux toilettes après s’être fait occire par les Russes.

Ce que vous verrez en plus : « une combinaison de cruauté et de beauté », lorsqu’est reconstitué « un terrible crime placé dans un contexte historique fictionnel ». Dans cette scène onirique, des soldats anglais de l’époque coloniale forcent des esclaves Africains à entrer dans un immense orgue de cuivre qui, devenant taureau d’airain et boîte à musique, laisse échapper la musique irréelle de leurs derniers gémissements.

Ce que vous ne verrez pas (attention spoiler) : un pigeon. En réalité, Andersson utilise ce que les théoriciens peuvent d’ores et déjà baptiser la « focalisation-pigeon ». Le spectateur est semblable aux oiseaux du tableau des Chasseurs dans la neige de Brueghel l’Ancien : perchés sur un arbre, les volatiles observent la vie villageoise, les actions et les espoirs des hommes menant leur vie.

Trivialisme, super-réalisme et humour de niche

Roy Andersson revendique le « trivialisme » : « cela renvoit au trivial élevé en une expérience plus attrayante. […] L’entièreté de l’histoire de l’art est rempli de trivialités parce que cela fait partie de nos vies ». Mais ne confondez pas trivialisme et prosaïsme, il est ici question de banalité magnifiée par une philosophie de l’ « ut pictura cinema »*.

Un pigeon perché sur une branche est fidèle à l’esthétique froide et figée du réalisateur connu pour son accointance avec le monde de la peinture. Si ses sources d’inspiration vont généralement de la Renaissance à la Nouvelle Objectivité en passant par Edward Hooper, Andersson se revendique cette fois-ci plus particulièrement d’Otto Dix et de Georg Scholz, deux Allemands connus pour leur œuvre imprégnée de la Première guerre mondiale. Mêlant cinéma et peinture, Andersson recourt au « super-réalisme […] dans lequel l’abstraction est condensée, purifiée et simplifiée. Les scènes devraient émerger aussi épurées que les souvenirs et les rêves ». Ce qu’elles font précisément, s’enchaînant selon une logique obscure et naviguant entre le comique et le tragique, parfois jusqu’au malaise.

Dans le film se déploie un indéniable un humour, mais un humour de niche tout de même. Le film est insensé, absurde, basé sur la répétition et l’inanité de l’existence de ces personnages blafards évoluant dans des décors verdâtres, grisâtres et jaunâtres. Le spectateur est mis dans une position inconfortable où il cherche sans cesse à recréer du sens à partir de séquences décousues. Le seul fil conducteur, qui ne nous mène qu’à plus de perplexité, est une conversation téléphonique répétée dans des contextes plus improbables les uns que les autres : « Je disais, je suis content que vous alliez bien ».

Chantre du recours à la peinture, de la caméra statique, du trivialisme et du super-réalisme, Andersson inscrit son œuvre dans un courant en faveur du clear thinking, en contrepied aux impératifs économiques et à l’accélération narrative qui caractérisent un certain cinéma. Chez lui, « tout est là, entièrement éclairé » et visible. D’ailleurs, il annonce que son prochain film ira plus loin dans le délire déjà entrepris dans Un pigeon perché sur une branche. Tout est illuminé en effet, Andersson le premier.

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*Référence à la célèbre formule du poète latin Horace ut pictura poesis erit (« la poésie est comme la peinture ») qui fait de la peinture un modèle pour la poésie. Cette comparaison des arts visuels et littéraires est reprise et inversée à la Renaissance, ce qui donnera lieu à de nombreux débats qui ne font triper que les historiens de l’art.

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