Un essai pour mettre en lumière les zones d’ombres de la vie de Shakespeare

auteur : Eugène Green
édition : Desclée de Brouwer
sortie : août 2018
genre : essai

Qui ne connait pas Shakespeare? Rien qu’à l’évocation de ce nom, toute une foule de pièces de théâtres célèbres nous reviennent en mémoire, de Roméo et Juliette à Richard III, en passant par le Songe d’une nuit d’été. Si la plupart des spécialistes s’accordent sur le fait que c’est bien le même auteur qui composa toutes ses pièces, le personnage en lui-même reste obscur. Autant ses pièces traversèrent le temps, autant les détails sur sa vie finirent dans l’oubli. Et des questions demeurent toujours sans réponse: Qui était-il? Quelle était sa personnalité? Quels rapports entretenait-il avec ses collègues, ses amis, sa famille?

Shakespeare ou la lumière des ombres s’essaie à reconstituer les parties de la vie du poète anglais qui restent dans l’ombre. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que la tâche n’est pas aisée tant les traces écrites sont rares. Eugène Green ne pouvait donc se baser que sur de vieux registres, enquêter sur la vie de ses parents, leur statut dans la hiérarchie sociale et leurs aspirations et enfin ce que l’on sait de lui par certains documents officiels, tels que actes de mariage ou de naissance de ses enfants. Avec raison, l’auteur a remit tous ces éléments en perspective avec leur contexte historique et est parvenu, par interconnexions et par un peu de sens logique aussi, proposer de nouvelles voies de réflexion.

C’est durant le XVème siècle que la langue anglaise va acquérir ses lettres de noblesse, les auteurs de pièces permettant notamment d’homogénéiser, de simplifier et de diffuser l’anglais qui n’était au départ utilisé que par le peuple. Ce fut Chaucer qui, le premier, se mit à faire des poèmes en anglais. Le grand succès de ses oeuvres donna l’impulsion nécessaire à l’émergence d’un nouveau genre littéraire et artistique. Marlowe, avec son Faust va plus loin en écrivant toute son histoire impregnée de style baroque en vers, il prouve que la langue anglaise peut être poétique. Malheureusement pour lui, Marlowe décéda jeune dans des circonstances étranges, mais l’originalité et la puissance des quelques oeuvres qu’il nous laisse nous porte à croire qu’il aurait pu être le seul à pouvoir rivaliser avec Shakespeare.

L’essor des théâtres s’inscrit dans la lignée d’un désir de renouveau. Après plusieurs siècles de mises en scène lithurgiques immuables données à l’occasion des grandes cérémonies chrétiennes sous le porche des églises et de représentations folkloriques s’apparentant plus à la jonglerie et à la bouffonnerie, ce fut probablement l’ennui provoqué par ce rabâchage d’un répertoire populaire moyennageux qui fit en quelque sorte fusionner tout ces divertissements pour donner un genre nouveau : le théâtre. Apparaissent alors les troupes d’acteurs formés “académiquement” survivant en général grâce au mécénat – ce qui implique que plus noble était le mécène, plus grands étaient aussi les moyens mis à la disposition de la troupe –, et évoluant dans un cadre bien précis qui définit ses propres règles : un théâtre de bois, toujours de plan hexagonal avec scène, parterre et loges.

S’articulant en deux parties Shakespeare ou la lumière des ombres est un essai bien construit qui pose des questions auxquelles on aurait pas forcément pensé. La première partie se focalise sur la recherche de traces de son existence en les mettant en relation avec une chronologie détaillée d’apparition des oeuvres, les événements sui secouaient la toute jeune scène de théâtre anglaise ainsi qu’une réflexion sur les faits qui permirent l’émergence du théâtre élisabéthain pour mettre en lumière de nouveaux indices et fonder de nouvelles hypothèses tout à fait vraissemblables. La seconde partie, quant à elle, est consacrée à une étude plus approfondie des oeuvres de Shakespeare comprenant l’analyse de son vocabulaire et des genres dans lesquels il s’est illustré (la comédie, la tragédie et la tragicomédie), tout en étant un témoin précieux de la société humaine de son temps.

Le manque de preuves écrites reste un problème réel et insoluble. Tout ne se résume donc au final qu’à des hypothèses qui, même si elles sont plausibles, n’en restent pas moins des hypothèses. Mais c’est aussi cette aura de mystère qui entoure sa vie qui nous rend Shakespeare si attrayant. Quand on y pense, c’est un auteur qui ne restera à jamais connu que par ses oeuvres. Mais finalement est-ce si grave? Le plus important n’est-il pas tout simplement ce qu’il nous laisse? Des pièces de théâtre, chefs-d’oeuvres de l’époque élisabéthaine, qui témoignent d’une insatiable envie de créer, d’une imagination et d’un talent qui semble ne pas avoir de limites.

A propos Daphné Troniseck 254 Articles
Journaliste du Suricate Magazine