Tristesses de Das Fraulein [Kompanie] à La Bellonne

Ecriture, conception et mise en scène de Anne-Cécile Vandalem, avec Epona Guillaume, Séléné Guillaume, Vincent Lécuyer, Catherine Mestoussis, Jean-Benoit Ugeux, Anne-Cécile Vandalem, Anne-Pascale Clairembourg, Bernard Marbaix, Françoise Vanhecke

A partir du 14 au 30 avril à 20h15 à La Bellonne

Fin 2015, sur la petite île danoise de Tristesse, il ne reste que huit personnes suite à la fermeture des abattoirs : la famille du maire, le pasteur et son épouse et un couple âgé. Quand la vieille Ida Heiger est retrouvée pendue au drapeau du Danemark, l’arrivée sur l’île de sa fille Martha, chef d’un parti populiste d’extrême droite sur le point d’arriver au pouvoir, va bousculer le fragile équilibre de la communauté, réveillant leurs tensions et leurs secrets…

Pour cet étrange Tristesses, Anne-Cécile Vandalem, auteur et metteur en scène, a fait preuve d’une ambition forte et originale. Cherchant à explorer les liens entre le politique et les émotions, le pouvoir et la tristesse, elle tend à proposer, à travers une histoire aux accents de fait-divers, une réflexion sur l’usage des images et de la fiction. La cohabitation des différents plans de Tristesses, oscillant entre drame au premier degré et mise en abîme, s’appuie sur un drôle de mélange des genres et des tons, entre métaphore politique, comédie, polar et drame, et par l’utilisation de la vidéo, qui nous fait entrer dans tous les coins et tous les instants de la vie sur l’île.

D’un point de vue visuel et sonore, Tristesses est une vraie réussite : la froideur bleutée des décors, les passages des morts au milieu des vivants, la musique live, donnent à la pièce une atmosphère cinématographique assez fascinante, en évitant l’esthétisation et la sophistication excessives. L’usage de la vidéo est – pour une fois – solidement réfléchi et le passage est généralement très fluide de la fiction filmée projetée sur écran au jeu sur scène. Tristesses est, par ailleurs, souvent drôle, et l’irruption du comique dans ce décor parfaitement adapté à un drame de Lars Von Trier est surprenante et plaisante. On prend un vrai plaisir à passer d’un espace à un autre pour suivre ce qui se trame dans tous les replis de Tristesse, et ce jeu avec la multitude de regards possibles du spectateur est certainement l’aspect le plus riche de la pièce.

Mais le mélange des genres, finalement, ne prend pas vraiment : on a du mal à prendre Tristesses au sérieux et à ressentir le malheur des habitants de l’île. De fait, le jeu est souvent forcé, les personnages manquent de complexité et d’épaisseur et l’écriture, vive et percutante dans le registre comique, s’apparente de plus en plus à un simple outil fonctionnel au service d’une démonstration assez grossière sur la noirceur retorse des partis extrémistes. Ainsi, de ce mariage prometteur mais pas tout à fait abouti entre émotions et politique, entre un théâtre vigilant qui alerte sur nos malheurs contemporains et un art du récit qui ose affirmer son attachement au pur plaisir de la fiction, naît une pièce un peu désincarnée, manquant parfois de rythme, et c’est dommage, tant le pari est stimulant. Paradoxalement, alors que la caméra multiplie les gros plans sur les visages des protagonistes, on a l’impression que la pièce, préoccupée par ses intentions intellectuelles, ne leur a pas laissé le temps d’exister. Malgré ces fragilités, Tristesses, parsemé d’idées brillantes, nourri par des questions et des envies puissantes, demeure toutefois une curiosité étonnante qui mérite nettement un passage dans l’île.

 

A propos Emilie Garcia Guillen 113 Articles
Journaliste du Suricate Magazine

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