Trafics de Sudhir Venkatesh

Trafics

auteur : Sudhir Venkatesh
édition : Globe
sortie : septembre 2015
genre : témoignages

Pendant plus de dix ans, Sughir Venkatesh a entrepris l’étude de la criminalité de New York. Voici Trafics, le témoignage qu’il en tire aujourd’hui.

Après avoir étudié le crime organisé au sein de Chicago, le sociologue urbain Sudhir Venkatesh entreprend une enquête de plus grande envergure en s’intéressant cette fois-ci à New York, où l’économie souterraine possède de nombreuses ramifications mouvantes.

Comme il l’explique lui-même, l’auteur de ce livre trace sa propre voie entre deux visions différentes de la sociologie. La première « conjugue des récits vivants à une exploration profonde des grands problèmes nationaux », tandis que la seconde se veut beaucoup plus scientifique, et donc plus difficile d’accès pour les non-initiés. Sudhir Venkatesh choisit, lui, d’observer son sujet au plus près, en se posant en tant qu’observateur. Car pour lui, la compréhension des fonctionnements de l’économie parallèle passe par l’observation et la prise de contact. En s’attardant sur son parcours à New-York et sur son étude du crime organisé, il entend bien partager son expérience au plus grand nombre.

Premièrement, la méthode choisie soulève un problème majeur. L’économie souterraine est façonnée par de multiples acteurs, avec leurs actions propres. Si chacune de ces personnes vient enrichir le monde criminel sous-jacent de chaque quartier de la ville,  comment partir de cette individualité pour aboutir à une vision plus globale ?

La première réponse apportée par l’auteur est simple. Il suffit de réussir à tirer un schéma clair de chaque situation, puis de les comparer, afin de trouver des similarités et/ou des dissonances. Sudhir Venkatesh met ainsi à jour deux facettes complémentaires inhérentes à la criminalité : une négative, chaque « acteur » n’étant pas à l’abri de la précarité (son business pouvant à tout moment péricliter), de la violence et des abus; une plus positive,  l’argent récolté pouvant permettre de faire vivre des familles entières, certains groupes étudiés ayant même peu à peu développé un système d’entraide.

Néanmoins, Trafics n’a rien de la thèse attendue, l’ouvrage se concentrant moins sur les résultats obtenus que sur la manière de procéder de l’auteur, et sur les rencontres qui découlent de son travail. Ce qui se traduit à l’écrit par une oscillation constante entre la description de différentes personnes du milieu du crime organisé ainsi que des rapports qu’ils entretiennent avec le sociologue, et leur impact sur son travail.

C’est au sein des portraits que l’auteur dresse des personnes qu’il interroge que réside la force du livre. En mettant en lumière leur côté humain, il permet d’apporter une émotion bienvenue. D’autant que certaines trajectoires s’achèvent de manière tragique. Ce qui tranche avec le côté plus factuel de nombreux passages s’attardant sur l’aspect sociologique de l’entreprise.

Si ce contraste s’avère pertinent et permet de mieux cerner la méthode du sociologue, il confère néanmoins à Trafics un aspect répétitif, souligné par la structure même des premiers chapitres. En effet, l’alternance entre la relation que Sudhir entretient avec ses sujets d’études et le point effectué sur l’avancée de ses recherches y est quasi systématique. L’auteur y insiste particulièrement sur les différentes difficultés qu’il rencontre pour mettre au point ses études de l’économie souterraine de New-York.

Ce qui amène un autre défaut du livre : le fait de ne jamais réellement cerner le but de l’auteur avant l’ultime chapitre. Face à ses hésitations et à la mise en œuvre successive de ses différentes études, le lecteur peut se retrouver perdu. Si la construction du récit, en flashbacks et en flashforwards, ménage une certaine forme de suspense, elle alimente également cette impression d’absence réelle de finalité.

Il n’en est cependant rien, et Trafics se trouve être un intéressant témoignage sur une facette pas toujours explorée de la New York actuelle en proie à de multiples changements, et sur les personnes qui essayent de s’y développer socialement, en empruntant des voies souvent risquées. De manière plus inattendue, l’ouvrage se révèle également  être l’introspection d’un sociologue plus marqué par son travail, et plus proche de ceux qu’il étudie, qu’il ne le souhaiterait.

A propos Guillaume Limatola 126 Articles
Journaliste

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*


Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.