Tour de France, dépolluer les cerveaux

Tour de France

de Rachid Djaïdani

Comédie dramatique

Avec Gérard Depardieu, Sadek, Louise Grinberg

Sorti le 14 décembre 2016

Far’Hook (Sadek) est un jeune rappeur de 20 ans connu sur les réseaux sociaux. Suite à un conflit avec un autre rappeur jaloux, il est obligé de quitter son Paris natal pour quelque temps. Son producteur, Bilal (Nicolas Marétheu), propose à ce dernier d’accompagner son père Serge (Gérard Depardieu) faire le tour des ports de France sur les traces du peintre Joseph Vernet.  Malgré le choc des générations et des cultures, une amitié improbable va se nouer entre ce rappeur des quartiers et ce vieux maçon du nord au cours d’un périple qui les mènera à travers la France de port en port jusqu’à Marseille, où Far’hook espère être l’une des têtes d’affiche d’un concert.

On craint dès les premières images de se retrouver dans un film sur la vie d’un rappeur de « bonlieu », une sorte d’ode à l’ego comme le revendique bon nombre d’artistes de la scène hip-hop. Mais on est très vite rassuré. Dès la scène suivante, le personnage de Far’hook nous est décrit dans toute sa complexité avec réalisme et sincérité. C’est un jeune comme les autres qui se fait un nom sur les réseaux sociaux, mais vit dans son quartier avec son « crew ». Ni racaille ni intégriste, il a 20 ans, il est timide avec les filles et mène une vie simple. La caméra, témoin presque documentaire de cette vie, le suit dans son périple. Le style est posé. Le règlement de compte ? Un prétexte à peine masqué pour le faire voyager, pour nous faire voyager.

On rencontre alors Serge, vieux maçon aigri et raciste vivant dans une cité coron du nord de la France mais qui veut fuir. Fuir pour se rapprocher de son fils, il en sera d’autant plus déçu quand Far’hook le remplacera, mais surtout fuir pour s’évader dans la peinture.

Rachid Djaïdani nous emmène dans un conte : la rencontre entre deux France pas si différentes que ça. Ce n’est pas Candide de Voltaire, mais c’est frais et presque aussi fort. La relation qui s’installe entre les personnages de Far’Hook et Serge, deux clichés populaires, (le-jeune-des-quartiers et le-vieux-con-raciste) va nous emmener au-delà.

Si l’enjeu est connu et l’histoire toute tracée, la poésie et le traitement du récit nous happent. Serge goûte ses tubes de peinture, Far’hook filme avec son smartphone. Deux techniques opposées, anachroniques qui donnent à ce film une dimension impressionniste latente qui bouleverse. Prenant adroitement l’œuvre de Vernet comme fil rouge, l’auteur nous offre un voyage initiatique au long duquel ces deux oubliés de la république auront l’occasion de se rejoindre dans la sensibilité artistique et poétique. Ils vont se découvrir l’un l’autre et révéler une France qu’ils ne connaissent pas.

On peut noter cependant quelques maladresses dans le jeu de certains seconds rôles, mais cela ajoute à la fraicheur de ce film plus qu’il ne le pénalise. On en sort léger et on aimerait que certains auteurs dits « sociaux » s’inspirent de telles œuvres pour en finir avec le misérabilisme bourgeois qui les inspire. Ici sont mêlés espoir, poésie, culture et réalisme dans un road-movie poétique qui ne laissera certainement pas indifférent. Prétexte à l’échange et au dialogue, c’est une apologie de la fraternité et du (mieux) vivre ensemble à l’heure où, comme il est dit dans le film, tout est pollué : l’eau, l’air, la terre mais surtout les cerveaux.

A propos Bruno Pons 45 Articles
Journaliste du Suricate Magazine