Steve Hackett : The Night Siren

En 1971, Steve Hackett publie dans le Melody Maker une annonce restée légendaire : « Guitariste/compositeur, cherche musiciens réceptifs et déterminés à s’émanciper des formes musicales existantes ».

Courant décembre, Hackett reçoit le coup de téléphone d’un certain Peter Gabriel, qui l’invite à assister au concert donné par Genesis au Lyceum de Londres, le 28 du même mois.

La suite de l’histoire, on la connaît déjà. Hackett enregistre avec Genesis des albums aujourd’hui considérés par beaucoup comme ce que le groupe a fait de mieux musicalement, mais aussi comme des synonymes de rock progressif.

Cependant, en 1977, Hackett finit par laisser le groupe derrière lui, démoralisé et frustré par le rejet constant de ses idées musicales. Sa contribution artistique au sein de Genesis reste peu conséquente, inversement proportionnelle à son travail en tant qu’artiste solo.

Aujourd’hui âgé de 67 ans, du haut des 42 années passées à écrire et composer pour son projet solo, Steve Hackett ne montre encore aucun signe de faiblesse. L’arrivée d’un nouvel album n’est pas surprenante, étant donné l’activité musicale prolifique du vétéran du rock progressif britannique. En presque 50 ans de carrière, le guitariste a enregistré plus de 30 albums studio (comptant son travail au sein de Genesis).

The Night Siren – qui coïncide avec le Genesis Revisited With Hackett Classics 2017 Tour – débarque deux ans après le précédent album, Wolflight. Le disque participe à ce que nous pourrions appeler un voyage noctambule dans la froideur d’une aurore boréale. Du Pérou à l’Islande, c’est l’expérience d’un voyage autour du monde qui a inspiré The Night Siren au musicien.

La sirène, créature mythologique hybride, mi-femme, mi-oiseau (tradition antique), ou à queue de poisson (tradition médiévale), au symbolisme fort, représentant la dualité du monde, au caractère à la fois séducteur et ensorceleur, mais démoniaque et sanguinaire. The Night Siren est un avertissement des temps sombres qui pourraient nous acculer si l’humanité choisissait d’emprunter la voie des politiques nationalistes et xénophobes.

Car oui : le thème général du disque a des connotations sociales et politiques fortes et signifiantes, particulièrement en regard des temps divisés, instables et très imprévisibles que nous connaissons aujourd’hui.

Ouvrant l’album avec ses arrangements de cordes flirtant avec des sonorités orientales, et une solide fondation rythmique résolument heavy, Behind the Smoke est une création colérique qui place les pions sur l’échiquier. Les paroles font allusion aux réfugiés déracinés de leur foyer pour fuir la guerre dans un pays déchiré, ainsi qu’aux intérêts vénaux des leaders politiques de ce monde qui n’ambitionnent qu’à atteindre leurs desseins nationalistes.

Il existe en dépit de cela un message de paix qui va à l’encontre des discours extrémistes, dans l’album. Hackett propose d’adhérer aux valeurs alternatives de la camaraderie, de l’amitié, de l’association et de la compassion. L’hymnique West to East reflète ce sentiment. Ce symbole se voit renforcé par la présence vocale de Mīrā ‘Awaḍ et Kobi Farhi, deux musiciens aux racines israéliennes et arabes. Steve Hackett voit ce titre comme un compagnon au dramatique Behind the Smoke, dont les paroles ont été inspirées par sa femme. Behind the smoke is black, ou, selon Hackett, « la conscience que nos ancêtres, il n’y a pas si longtemps, étaient victimes de massacres dans l’Est [NdlA : massacre de Damas, en 1960, au cours duquel de nombreux chrétiens furent exécutés par des musulmans]. Il semble y avoir une quantité importante de similitudes avec ce qui se passe à l’heure actuelle. Les guerres sont différentes, mais la base était la même – l’idée d’intolérance, le préjudice, et le sentiment de xénophobie. »

La direction musicale que prend l’album est fortement liée au sujet puisqu’il s’agit de l’un des albums les plus interculturels de Steve Hackett : le guitariste a sollicité l’aide d’une vingtaine de musiciens venant d’Israël et de Palestine, d’Islande, de Hongrie, des Etats Unis, du Royaume Uni et d’Azerbaïdjan.

Ces « Nations Unies » de musiciens est aussi ce qui fait de The Night Siren un album très spécial. Plus qu’un « simple » album rock, il s’agit d’une proclamation orchestrale de world music. Aucune frontière. Les accents orientaux (Behind the Smoke), les passages indiens (Martian Sea), les ambiances d’Amérique du Sud (Inca Terra), ou les sons celtiques offrent une palette de couleurs parfois étonnantes (Fifty Miles From the North Pole).

Si ces éléments de world music sont apparents, The Night Siren ne tourne pas le dos au style progressif de Hackett. Les amoureux des ballades impressionnistes ne sont pas oubliés (The Other Side of the Wall), ni les amateurs du style flamenco (Anything but Love et son euphorique caméo d’harmonica aux couleurs bluesy !), ou encore des titres comme le vertigineux The Gift qui clôture l’album : toutes ces pistes raviront les fans de la première heure.

Ce désir de ne pas enfermer ses compositions dans un style particulier est selon moi la réelle clé du succès de cet album. Il est protéiforme… ça tournoie et ça bouge sans cesse ! Mais rien ne semble étranger à l’ensemble. Comme s’il existait un équilibre fondamental entre chacune des influences qui a contribué à l’élaboration de ce disque. The Night Siren atteste que, encore aujourd’hui, la créativité sans frontière de Steve Hackett a encore quelques surprises à nous réserver.

Note : 8/10