S’enfuir de Joachim Thôme

s enfuir affiche

S’enfuir

de Joachim Thôme

Documentaire

Sorti le 12 novembre 2014

En 1899 naissait Albert Huybrechts, compositeur belge. Jusqu’à sa mort prématurée à 38 ans, il construisit une œuvre imposante par sa liberté et son innovation. Mais sa musique, aussi grande et puissante soit-elle, resta tapie dans l’ombre sans jamais trouver sa reconnaissance méritée. Artiste maudit, mais n’existant que pour son art, jamais il n’abandonna, car c’est au cœur la musique qu’il trouvait « son salut, sa fuite ».

Suite à une rencontre avec les producteurs du label musical Cypres (Camille De Rijck et Cédric Hustinx) qui avaient décidé de sortir l’œuvre d’Huybrechts de la poussière et d’en éditer un intégral, Joachim Thôme se plonge à la découverte du musicien. Cette exploration, au travers du texte écrit par son frère, Jacques Huybrechts, fait éclore chez le réalisateur une évidence : celle de bâtir un film autour de la figure du compositeur. Naît alors S’enfuir.

S’enfuir est un film documentaire, pourtant toujours au seuil de la fiction. Au cœur de celui-ci, Joachim Thôme nous invite à entrer dans l’intimité – mais toujours avec pudeur – d’un artiste oublié et pourtant magistral. Troublant, le film s’esquisse comme un voyage dans les profondeurs d’une vie, comme d’une œuvre.

Face à l’écran, il ne faut pas plus d’une seconde pour se laisser immerger dans cette danse subtile : celle où musique, mots et images s’entremêlent comme des amants, intensément liés et pourtant profondément différents. Enfin, voilà un film qui nous offre à voir et à écouter, dans un même temps, dans un même souffle. Éblouissant, un espace infini s’ouvre alors aux sens.

La poésie, placée comme toile de fond du film, y tisse de bout en bout un lien entre paroles, musique et images, comme les membres inséparables d’un orchestre ajusté. Le rythme du film mesure et bat telle une œuvre musicale. L’histoire d’un musicien se raconte alors au travers des couleurs, des notes, des textes, des silences, des murmures, du mouvement, et des mains.

Par ce lien fondateur, le film se bâtit une force rare et une puissante cohérence. Les limites peuvent alors s’écarteler. Réalité, fiction, souvenirs, poésie, cinéma, musique, passé, présent perdent leur sens premier pour n’en trouver qu’un : le souvenir d’un musicien. Car inévitablement, la notion de mémoire est immanente au film. Le noir et blanc et le lent mouvement de la caméra sur les photographies réelles, les images d’archives, et la maison reproduite, marquent les traces d’un lieu où s’embrument la mémoire. « Mon cœur est un cimetière où reposent les souvenirs », disait Albert Huybrechts.

Et au creux de ces souvenirs, aux silences répond l’absence. Les images se dénudent d’humanité, des fleurs abandonnées sur une table, des lieux de vie vidés, une statue aux traits statiques, un mutisme qui fait rage. Pourtant, rien n’est jamais figé. Le mouvement à l’écran toujours présent et la musique jouée sous nos yeux par des musiciens illuminent la vie et l’œuvre d’Albert Huybrechts d’une forme d’éternité.

S’enfuir est un film déroutant, autant pour les amoureux de la musique que ceux du cinéma, qui, dans un même temps, met en mots, en images, en musique et en poésie la vie d’un artiste trop peu reconnu. Coup de plume pour ce premier long métrage documentaire, Joachim Thôme ouvre une brèche dans la toile du temps pour y déposer une composition d’une beauté étonnante. À l’image de toutes ces mains assidûment filmées, le réalisateur parvient à toucher l’intangible : devant nos yeux, il trace à la l’écran musique immortelle et souvenirs impérissables.

A propos Lise Mernier 11 Articles
Journaliste du Suricate Magazine

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