Rwanda, la vie après – Paroles de mères

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Rwanda, la vie après – Paroles de mères

de Benoit Dervaux et André Versaille

Documentaire

Sorti le 13 novembre 2014

Longtemps considéré comme un « dommage collatéral » de la soldatesque, le viol est depuis les années 90 reconnu comme une arme de guerre à part entière. Il en est notamment fait état dans les conflits en Ex-Yougoslavie, au Congo, en Syrie et au Rwanda, pour ne citer que ceux-là. C’est dans ce dernier, « le pays aux mille collines », que le cadreur des frères Dardenne, Benoit Dervaux, et l’éditeur André Versaille ont recueilli les témoignages de six femmes victimes de viol durant le génocide de 1994. Elles racontent l’indicible : la torture subie, la grossesse non désirée, le rejet par leur famille et la vie avec l’enfant de l’ennemi, leur enfant. Deux de ces jeunes prennent également la parole et relatent leur histoire marquée par la haine et le rejet, jusqu’à ce que la fin du non-dit laisse place à une possible acceptation.

De précieux témoignages

Le reportage a le mérite d’exister, car il recueille des témoignages qui autrement pourraient rester à jamais lettres mortes. D’une part, les interviewées sont des femmes des collines, moins tenues par la règle implicite de Kigali où la reconstruction se paye au prix fort du silence. D’autre part, comme le fait remarquer André Versaille, le génocide rwandais se caractérise par « la rareté des témoignages en regard de l’énormité de l’événement. À cela plusieurs raisons dont la difficulté d’écrire sa douleur ». Il y a aussi le motif de la pudeur et la difficulté à revenir sur ces faits que beaucoup mettent tant d’effort à oublier ou à occulter. « En revanche, tout le monde sait parler ». Le documentaire nous met littéralement en présence de ces femmes, notamment avec l’utilisation du regard-caméra permettant (presque) un contact visuel entre le spectateur et elles.

Le viol est un génocide

En racontant leur vécu, ces six femmes mettent en lumière les effets profonds et dévastateurs du viol systématique en temps de guerre ou de génocide. Ce n’est qu’en 1992 que le Conseil de sécurité de l’ONU s’est penché sur les agressions sexuelles comme crimes contre l’humanité. Pourtant, l’horreur n’a pas attendu de se dire pour se faire.

Le viol est en lui-même un acte de torture pur et simple, mais aussi une arme psychologique puisque, souvent rendu public, il vise à dégrader au maximum les victimes et ultimement l’intégrité du groupe visé. À court terme, de nombreuses femmes se retrouvent ensuite enceintes de leurs tortionnaires (lequel ?) et/ou infectées, notamment du sida, une conséquence loin d’être fortuite. Dans divers conflits, des bataillons de violeurs constitués de sidéens sont en effet formés pour décimer les victimes, comme cela a été le cas au Rwanda. Parmi les autres buts recherchés et signalés par l’ONU se trouvent la volonté de « changer la composition ethnique de la génération suivante » ou encore celle de « rendre les femmes de la communauté visée incapables de porter des enfants ». À moyen terme, contaminées ou mères d’un enfant de l’ennemi lui-même malade, ces femmes sont rejetées par leur famille. Haine, traumatismes, violences et maladies se propagent à la génération suivante et minent le tissu social à long terme. Dans ce contexte, le viol renvoie à la définition même de « génocide », un terme forgé en 1944 par Raphaël Lemkin. Le mot résulte de l’association de la racine grecque genos « naissance », « espèce », et du suffixe « -cide », « tuer », « massacrer ».

Les limites du documentaire

Même si Benoit Dervaux et André Versaille dissocient leur film de toute prétention politique, il est à regretter que ce dernier manifeste tout de même un parti pris, comme le relève le Réseau International des Femmes pour la Démocratie et la Paix (RIFDP). « Le film aurait gagné en crédibilité s’il avait donné la parole à au moins une femme hutue ou twa victime de viol puisque le thème du film tournait autour des femmes victimes des guerres. Ne donner la parole qu’aux victimes tutsies risque d’être vu comme un déni d’exposition médiatique aux autres victimes. » Sans compter que le chant en kinyarwanda qui ouvre le reportage entérine la division et l’opposition du peuple rwandais. De plus, s’il est vrai que deux enfants témoignent d’une relation enfin apaisée avec leur mère, ou du moins débarrassée du non-dit de leur origine, le reportage ne creuse pas plus loin. À l’exception d’un plan-séquence final très neutre, dans un documentaire qui l’est moins, Rwanda, la vie après n’interroge pas l’avenir et les perspectives de ces enfants ; des jeunes qui sont malgré eux les descendants du génocide ayant à jamais changé le Rwanda, des jeunes qui sont les traits d’union d’une société divisée et dont le seul choix viable et difficile est de se reconstruire. Précisément, les auteurs du documentaire n’abordent pas avec ces femmes et leurs enfants le processus national de reconstruction ni la façon concrète dont ils le vivent, autant de questions qui font cruellement défaut.

Rwanda, la vie après. Paroles de mères a certes d’importantes limites, mais il est à voir. En alignant les préoccupations éthiques et esthétiques, il évite tout enjolivement cinématographique. Il prouve, s’il le fallait encore, que le viol est une arme de destruction massive à l’échelle individuelle et globale, et surtout il donne un réel espace de parole à ces femmes, car pour « ce qui s’énonce à peine et ne se traduit pas […] il faut quelqu’un en face de quelqu’un » (Emmanuel d’Autreppe).

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