Rencontre avec Kaouther Ben Hania (Le Challat de Tunis)

Rencontre avec Kaouther Ben Hania pour la sortie de son premier long-métrage,  » Le Challat de Tunis « 

Le Challat de Tunis est un film qui mêle les genres formels pour enquêter sur un fait réel tunisien : les sévices du ‘Challat’, un homme à mobylette balafrant le postérieur d’innocentes piétonnes jugées provocatrices. Le Suricate Magazine a rencontré la réalisatrice, Kaouther Ben Hania, qui nous parle en détails de ce film étonnant et de ses intentions.

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le challat de tunis poster

Pourriez-vous nous parler de votre parcours et de ce qui vous a amené vers la réalisation de films ?

Mon parcours est un peu abracadabrant à vrai dire ! J’ai commencé par des études de marketing à Tunis (NDLR : l’équivalent des HEC) où je ne me sentais pas du tout dans mon élément. Par ailleurs, depuis que je suis enfant, j’aime beaucoup la littérature et je me voyais être romancière, sauf que je n’avais pas un style particulier… Ensuite, j’ai rejoint la Fédération Tunisienne des Cinéastes Amateurs (FTCA) qui est une vieille association où des cinéastes amateurs se rencontrent le samedi et le dimanche pour bricoler des films amateurs. Et c’est là que je me suis dit que c’était vraiment ce que j’avais envie de faire. La FTCA m’a ouvert ses portes vers le cinéma et j’ai, par la suite, fait des études de cinéma à Tunis, puis à Paris où j’ai suivi une formation de scénariste. C’est comme cela que tout a commencé.

Pour moi, le cinéma est un outil formidable, immédiat, très fort, visuel… Le son et l’image sont des outils extraordinaires, le cinéma regroupe plusieurs arts et permet d’ouvrir des possibilités de narration incroyables.

Le Challat de Tunis s’inspire d’un fait réel, qu’est-ce qui vous a intéressé dans ce fait divers pour le porter à l’écran ?

Je trouvais que ce fait divers cristallisait beaucoup d’éléments qui sont très intéressants et très parlants. En soi, le crime dit beaucoup de choses en général. Ce qui m’intéressait était de me focaliser sur les motivations du crime et ce qui le provoque, mais aussi ce qui se cache derrière le crime. Ce fait réel est quelque chose de sombre dans une société et, pourtant, il n’y a que le côté sombre et marginal d’une société qui peut nous renseigner sur quelque chose de beaucoup plus global.

Pour moi, je considérais cela comme un événement ; en premier lieu, personne ne savait qui était l’auteur des agressions. Alors le fait divers s’est transformé en légende urbaine, comme si c’était un récipient vide où chacun pouvait le remplir avec ses fantasmes, ses peurs, sa psychose… C’est devenu une histoire très passionnante pour tout le monde. On en parlait d’un café à un autre, on racontait des histoires autour de lui… C’était devenu une forme de héros/anti-héros sur sa mobylette, comme un chevalier sur son cheval, mais cette fois avec un sabre. Dans la représentation du personnage, il y avait quelque chose de très romanesque. Mon intérêt est venu essentiellement de là.

On sent fortement que le film s’amuse à brouiller les pistes entre documentaire et fiction, est-ce une démarche importante dans votre travail ?

Concernant cette démarche, il y a deux choses dont j’aimerais parler. Premièrement, le fait est que j’aime beaucoup le cinéma documentaire. Le documentaire est une superbe école où l’on peut faire énormément de choses et qui, dans mon cas, m’a réconcilié avec le cinéma de fiction.

Ensuite, par rapport à ce film en particulier, la forme du film s’est imposée à moi, je ne l’ai pas choisie sur un coup de tête, c’est plutôt l’histoire qui m’a imposé cette forme. Il y a une part de réalité dans ce fait divers, mais on ne sait pas ce qui s’est réellement passé. La rumeur et la légende urbaine ont pris le dessus. Bien évidemment, rumeur rime avec vraisemblable : quelque chose que l’on peut croire, mais où le doute plane quand même. Je voulais que le film soit à l’image du fait divers, de la rumeur, de la légende urbaine et de toutes ses variantes. Pour moi, c’était presque une évidence de faire le film de cette manière-là.

Comment s’est déroulé le tournage ? Avez-vous laissé une part de spontanéité ou saviez-vous déjà à l’avance comment vous comptiez tourner ?

A la base, j’avais un scénario très écrit, qui bougeait tout le temps, pendant la préparation, pendant la rencontre avec les personnages et pendant les répétitions avec les comédiens. Lors des répétitions, j’ajustais les dialogues, j’essayais de travailler de cette manière-là. Etant donné que les comédiens n’étaient pas des ‘comédiens professionnels’ et jouaient pour la première fois, je voulais que les dialogues soient très proches d’eux.

Heureusement, comme le film ne coûtait pas extrêmement cher, j’avais plus de liberté que dans une fiction classique. Je pouvais alors plus aisément changer des choses, adapter l’histoire et cela m’a permis de construire le film d’une manière à la fois très rigoureuse, mais également plus libre pour rajouter ou améliorer des choses.

Comment le film a-t-il été reçu à Tunis ?

Le film est sorti à Tunis en 2014 et il a été très bien reçu. Il est resté assez longtemps à l’affiche et cela a été une très belle sortie en Tunisie. Par la suite, on l’a également projeté à l’intérieur de la Tunisie et on le projette encore de temps en temps dans certaines manifestations culturelles.

Quels sont vos projets pour la suite ?

En ce moment, je suis en train de terminer un documentaire. Il a été sélectionné à Venise dans la catégorie ‘Finalcut’ où il a remporté cinq prix. Cela va grandement aider à la post-production du film et on va donc le finir grâce à ces prix. Ce film s’appelle Zeineb n’aime pas la neige.

J’ai également un projet de fiction que je tournerai probablement début 2016, qui est aussi inspiré d’un fait divers.

Propos recueillis par Julie De Wispelaere

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