Rencontre avec Jan-Willem Van Ewijk pour « Atlantic »

Deuxième long-métrage du Néerlandais Jan-Willem Van Ewijk, Atlantic est un film existentiel de planche à voile sur fond d’immigration. Nous avons rencontré le réalisateur au parcours atypique pour qu’il nous parle du tournage, de son acteur principal Fettah Lamara et du retour en force de l’actualité en Méditerrannée.  

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Vous n’avez pas le profil standard d’un cinéaste. Quel est votre parcours et comment en êtes-vous venu au cinéma ? 

Je suis né aux Pays-Bas, mais quand j’étais petit, mon père a trouvé du travail en Californie. Plus tard, j’ai suivi des études en aéronautiques et une fois ingénieur, j’ai travaillé pour Airbus près Toulouse et pour Bombardier à Montréal. Je dessinais notamment des avions d’affaires et même si je le faisais avec beaucoup de plaisir au début, j’en ai finalement eu marre de passer mon temps derrière un ordinateur. J’ai alors rejoint le milieu de la consultance et je suis devenu banquier à Londres pendant quelques années. Je gagnais beaucoup d’argent, mais je n’étais pas heureux.

Je me demandais ce que j’avais fait de mes rêves et de mes intérêts : le dessin, la photographie, la poésie, la littérature, la psychologie, etc. Pendant un an, j’ai traversé une crise existentielle, à chercher ce que je voulais vraiment faire. Lors d’un voyage à Barcelone, j’ai rencontré par hasard un réalisateur allemand à qui j’ai avoué que réalisateur me semblait être un des métiers les plus intéressants au monde. Il m’a alors proposé d’écrire un court-métrage. Une fois rentré à Amsterdam, j’ai su dès la première ligne que c’était ça que je voulais faire. Après deux semaines, j’avais écrit 100 pages d’un long-métrage que je voulais réaliser moi-même et qui est devenu mon premier film, Nu. J’avais 33 ans et j’avais enfin trouvé mon métier.

Atlantic est votre deuxième film. Qu’avez-vous retiré du tournage de Nu 

Nu a été rapidement écrit et tourné. Par contre, j’ai passé presque deux ans à faire le montage les soirs et les week-ends, en travaillant la journée pour avoir de l’argent. La première version du film était vraiment nulle, tout le monde me l’a dit. Heureusement, au bout de deux ans, j’ai rencontré un monteur qui avait beaucoup d’expérience ; j’ai appris comment on faisait un film, comment on racontait une histoire et ce qu’était le rythme.

Pour passer moins de temps au montage à corriger mes erreurs, je me suis dit qu’il fallait que j’apprenne à écrire. Avec le scénario d’Atlantic, j’ai donc fait le Binger Filmlab en Hollande et le Sundance Lab du Festival de Sundance. Cette fois, j’ai passé deux ans et demi à travailler le scénario. Je me disais que j’avais fait du bon travail, mais on m’a dit que non, alors j’ai encore passé du temps à réécrire et à chercher des financements. Après tout cela, je pensais que le montage serait plus facile que pour Nu, mais j’y ai encore passé un an.

Comment vous est venue l’idée d’Atlantic ? 

Je fais de la planche à voile depuis longtemps. J’avais de nombreuses fois été au Maroc, dans le village de Moulay Bouzerktoun, en-dehors d’Essaouira, un endroit très connu des planchistes européens pour ses grosses vagues et un vent continu qui vient toujours de la même direction. Je me suis lié d’amitié avec les gens du village, nous étions très proches. Au début, je trouvais ça génial en tant que touriste européen de leur laisser du matériel, de faire un échange de culture, de leur apprendre les langues et la planche à voile. Mais après quelques années, j’ai réalisé que l’on avait aussi amené beaucoup de rêves qui n’étaient pas réalisables pour eux. Puis, je suis revenu au village en hiver et j’ai vu un tout autre aspect de leur vie : il n’y avait pas de touristes, pas d’argent, pas de vent donc pas de planche à voile, beaucoup de drogues, etc. J’ai donc prise conscience qu’il y avait là une histoire de mini-colonisation, une certaine corruption de ce petit village. D’un autre côté, il restait une grande liberté dans cet endroit parfait pour la planche à voile. J’ai donc développé l’idée du film et mes amis du village se sont montrés très enthousiastes.

Est-ce techniquement possible de rallier l’Europe depuis le Maroc en planche à voile ? 

Le Maroc et l’Espagne sont très proches, mais dans le film Fettah contourne la zone militaire entre les deux en passant par l’Atlantique, ce qui représente 300km de mer. Puisque la planche à voile peut aller jusqu’à du 40 ou 50 kilomètres par heure, c’est possible de le faire en 10h avec un bon vent et en se reposant de temps en temps. Par contre, s’il n’y a pas de vent, tu ne peux pas naviguer.

Comment s’est passé le tournage en mer ? 

J’étais impatient de faire cette partie du film pour laquelle on avait trois petits bateaux rapides et un grand bateau pour toute l’équipe et une partie du matériel. On était à 4km de la côte, car je voulais des grandes vagues de pleine mer. Mais je n’avais pas réalisé qu’être sur un bateau qui ne bouge pas donne le mal de mer. Même Fettah qui est pêcheur avait le mal de mer. J’étais le seul à ne pas l’avoir – je ne sais pas pourquoi –, mais par contre j’étais désespéré : chaque matin je devais convaincre  l’équipe de faire un jour de plus.

Apparemment les débuts du tournage à terre ont aussi été chaotiques, car le contact avec certains villageois a été problématique. 

Avant notre tournage, Ridley Scott était venu tourner Kingdom of Heaven avec une très grosse équipe. Il avait payé tout le village et donné beaucoup d’argent. Quand les villageois ont vu qu’on avait des bateaux et un hélicoptère pour une journée, ils ont cru qu’on avait les mêmes moyens. Un groupe a refusé de tourner avec nous malgré le salaire raisonnable que notre producteur marocain leur proposait. Après deux semaines de tournage – par jalousie peut-être ? – ils se sont organisés en une bande de 20 personnes et ont attaqué le plateau avec des cailloux et des couteaux. C’était vraiment une petite guerre entre notre équipe marocaine et eux. C’était chaud, mais heureusement, personne n’a été blessé. Après, des policiers et des soldats nous ont protégés. J’ai finalement parlé avec le leader et lui et ses amis ont accepté de devenir figurants dans la scène de la fête.

Comme dans votre précédent film, vous êtes scénariste, réalisateur et acteur. Est-ce important pour vous de vous impliquer dans toutes les étapes de votre film ou êtes-vous juste un control-freak ? 

(Rires). Bien sûr, je suis un control-freak, mais je me soigne. Pour ce film, j’ai cherché des acteurs néerlandais pour le rôle de Jan que j’interprète, mais aucun ne faisait de planche à voile. Puisque nous n’avions pas le budget pour des cascadeurs, mon producteur m’a proposé de jouer. Cela s’est révélé plus dur que dans Nu où je jouais un des rôles principaux. Ici, j’avais du mal à entrer dans un petit rôle tout en gérant une grosse équipe. Je ne pense d’ailleurs pas jouer dans mon prochain film. En même temps, c’est vrai que même si je préfère être réalisateur, j’aime bien être acteur, et j’ai d’ailleurs joué l’an dernier dans Miracles, un long-métrage tourné à Bruxelles.

Comment avez-vous choisi Fettah Lamara, le rôle principal ? 

La première fois que je suis venu au village, je trouvais qu’il avait un visage intéressant, avec beaucoup d’émotions et une certaine absence, un élément qui est devenu le thème du film. Plus tard, lorsque j’écrivais le scénario, j’ai rapidement basé l’histoire sur Fettah. Mon producteur voulait cependant un casting avec des acteurs connus et plus expérimentés, tandis que je voulais un vrai planchiste. Des 50 planchistes qu’on a auditionnés, Fettah était le dernier et tout le monde a été convaincu par sa prestation. Pour lui, l’expérience a été suprenante et magique: quelque chose s’est révélé. Il était très motivé et a travaillé dur. Maintenant, il veut continuer dans cette voie, mais ce n’est pas facile, car il n’y a pas beaucoup de rôle au Maroc et ce n’est pas facile de percer en France. Je pense toutefois que c’est juste une question de temps.

Bien que votre film soit plutôt poétique et existentiel, pensez-vous qu’il soit encore possible de le regarder d’une façon neutre au vu de l’actualité ? 

Je ne sais pas… J’espère. Nous n’avons pas voulu faire un film sur l’immigration, mais plutôt raconter l’histoire d’un individu qui habite dans ce village et qui traverse une crise existentielle. Bien sûr, il y a toujours eu en arrière-fond ce paysage géo-politique et ce  clivage entre l’Afrique et l’Europe. Cela fait longtemps que des gens meurent aux abords de l’Europe. Avec les derniers événements, cela est revenu au premier plan. Mais c’est souvent la même vision qui est développée. D’un côté, le journal télévisé montre toujours les migrants en groupe, et ne s’attarde pas sur les individus et leur histoire personnelle. D’un autre côté, les films sur l’immigration donne souvent le point de vue européen, comme le film italien Terraferma. Je voulais montrer l’autre côté, me concentrer sur une personne qui vient de là-bas.

Votre film a déjà pas mal voyagé. Vous étiez notamment au TIFF l’an dernier. Comment était-ce ? 

Toronto est un bon festival qui accueille chaque année des films d’une grande qualité. Nous n’aurions pas pu rêver meilleure vitrine pour Atlantic : cela nous a ouvert les portes d’autres festivals. C’était aussi génial pour Fettah qui n’avait jamais été en Amérique du Nord : pour lui c’était comme un rêve. Il se demandait où il était quand, lors de notre deuxième soirée, nous avons participé à une fête avec Ben Stiller, Robert Downey Jr., Naomi Watts, etc. Je lui ai quand même dit que ça ne se passe pas toujours comme ça, et que ce n’est pas tous les jours qu’on reçoit un compliment de Ben Stiller sur sa tenue. (Rires).

Justement, votre prochain film se déroulera en Amérique du Nord, n’est-ce pas ? 

Oui, je viens de finir d’écrire la première version du film et maintenant, on est en discussion avec des producteurs américains. La loi sur les armes à feu est le thème général du film. C’est l’histoire d’un père qui voyage avec sa fille et qui s’introduit la nuit dans la maison des gens pour les regarder dormir. Cette attitude bizarre s’expliquera au fur et à mesure qu’on découvrira son histoire difficile et la perte d’un proche. Mais je ne peux pas en dire plus.

Propos recueillis par Elodie Mertz

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