Party Girl, saisissant

party girl affiche

Party Girl

de Marie Amachoukeli, Claire Burger et Samuel Theis

Drame

Avec Angélique Litzenburger, Joseph Bour, Mario Theis, Samuel Theis, Séverine Litzenburger

Sorti le 3 septembre 2014

Avec Party Girl, qui a obtenu au dernier festival de Cannes la Caméra d’or, récompensant le meilleur premier film, les trois réalisateurs, Marie Amachoukeli, Claire Burger et Samuel Theis marchent sur un fil : le film se situe aux frontières de la fiction et du documentaire, dans un milieu à la lisière du glauque, et, qui plus est, dans les délicates régions du portrait de famille intime.

En effet, les trois amis, dont deux se connaissent depuis l’adolescence, ont choisi de dresser le portrait d’Angélique, la mère de Samuel Theis, entraîneuse dans un cabaret à la frontière allemande. Angélique, qui trimballe ses soixante ans de plaisirs et de galères, sa vie de nuit et de fêtes, ses breloques, interprète donc son propre rôle, tout comme les frères et les sœurs de Samuel Theis, tandis que les autres personnages sont joués par des acteurs lorrains non professionnels. Les cinéastes se sont emparés d’un épisode authentique de sa vie, son improbable mariage avec un client, pour faire basculer autour de ce fil conducteur l’univers d’Angélique du côté du cinéma, sans que l’on puisse clairement démêler la fiction du réel, l’improvisation du scénario écrit.

De ce pari risqué d’équilibriste, on pouvait tout craindre : le pathos, les clichés, le voyeurisme, d’autant que le film se confronte à de multiples écueils, des retrouvailles d’Angélique avec sa – véritable – fille placée en famille d’accueil au retour du fils, intello parisien, sur ces terres de mineurs et de dialectes germaniques.

Party Girl échappe à tous ces périls. Centré sur le personnage d’Angélique, il nous surprend et nous trouble de bout en bout : nous ne savons jamais tout à fait où il nous emmène, où nous sommes. Angélique elle-même, à la présence si forte, ne se laisse pas entièrement cerner : touchante et irresponsable, séductrice et fragile, fuyante et crûe, colérique et douce, s’adaptant difficilement à la vie de future épouse rangée, le film la saisit sans complaisance ni fascination excessive. La relation aux hommes, aux enfants, à l’alcool, à la nuit : il y a de la dureté autour d’Angélique, et la finesse des réalisateurs réside dans leur capacité à évoquer, à travers cette peinture naturaliste d’une vie désordonnée et parfois douloureuse, la puissance des liens, de l’amour, des regrets et des rêves, en évitant aussi bien la distanciation du discours sociologique que les pièges de l’apitoiement sentimentaliste. La réalisation du film, vive et nerveuse, captant avec brio le quotidien au vif, les jeux des enfants, les peaux tatouées des entraîneuses, les signes de l’âge, prend soin de montrer jusque ce qu’il faut, sans s’appesantir sur ce qui fait mal, préservant pour chaque personnage son mystère et ses silences. Toute la beauté du film, qui fait affleurer une indéfinissable émotion là où on ne l’attend pas, repose sur ce respect et cette considération dont témoignent les cinéastes pour un milieu populaire, voire marginal, dans lequel ils ne vivent pas ou plus, pour une langue, un accent, et pour les passions humaines qui les traversent avec autant de richesse et de complexité que lorsqu’elles touchent d’autres sphères.

À travers un portrait de femme, rappelant par certains aspects Une femme sous influence de John Cassavetes, Party Girl nous plonge dans un roman familial, une histoire d’amour, un drame social, sans jamais nous dire ce que nous sommes supposés penser, ressentir, juger. Le saisissement que le film provoque est indéterminable, et d’autant plus fort.

A propos Emilie Garcia Guillen 113 Articles
Journaliste du Suricate Magazine

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