Parlons cinéma avec Nicole Palo

A l’occasion de la sortie de son second film, Emma Peeters, nous avons rencontré la réalisatrice belgo-américaine Nicole Palo, afin de parler de son second opus et de cinéma en général.

Quelle est la différence entre un premier et un second film ?

Mon premier film était un film à micro-budget (€140.000) tandis que le second a été tourné avec un budget dix fois plus important (€1.4M) et par conséquent la possibilité d’avoir une équipe plus expérimentée et soi-même plus d’expérience. D’autre part, il s’est passé dix ans entre le premier et le deuxième, un temps que j’ai mis à profit pour préparer mon travail et réunir de nombreuses références, notamment musicales, afin de construire un univers beaucoup plus réfléchi et nourrir les acteurs. En comparaison, l’entièreté du processus pour mon premier film, Get born, de l’écriture à la diffusion, s’est déroulé en un an. Malgré cela, la durée des deux tournages, elle, était presque identique, 28 jours contre 20 jours, ce qui ne laisse pas beaucoup de temps avec les acteurs et empêche de peaufiner les choses sur le tournage.

Qu’est-ce qui a nourri le scénario ?

Tout ce que l’on voit, lit, ressent, nourrit le scénario. L’idée du film à la base part de ma frustration, de cette période après le premier film où je cherchais une idée et où rien ne semblait fonctionner. Par la suite, j’ai eu l’idée de ce personnage qui, n’étant pas satisfaite de sa vie, va tout laisser tomber et de manière extrême va vouloir en finir. Face à des gens qui sont insatisfaits dans leur vie et décident de changer, la fin d’Emma est bien entendu plus une mort symbolique qu’autre chose. Après avoir eu l’idée, il s’est passé encore tellement d’années avant que le projet ne se réalise que je me suis à nouveau nourrie de ces autres frustrations pour alimenter le film.

Un des thèmes du film est ce besoin, qui peut tourner à l’obsession dans notre société actuelle, de réaliser à tout prix quelque chose de significatif. Cette tendance ne s’est-elle pas encore aggravée ces 10 dernières années, suite à l’apparition des réseaux sociaux ?

Les réseaux sociaux sont un nid d’égocentrisme et de narcissisme où les gens ont un énorme besoin de reconnaissance. Avant on ne le voyait pas autant, mais à présent, les gens n’ont plus aucune pudeur par rapport au besoin de flatter leur égo. On retrouve du narcissisme dans les métiers artistiques, chez les réalisateurs, les comédiens, mais il en faut pour croire que l’on va intéresser quelqu’un d’autre que soi-même à son projet.

Le problème D’Emma Peeters, c’est qu’elle ne s’aime pas, elle a un besoin de reconnaissance, mais elle a un problème d’image, avec ce qu’elle est. La coquille est vide, elle ne sait pas qui elle est à l’intérieur. La vraie clé, c’est qu’on a besoin de trouver l’autre, de rencontrer l’autre, quel qu’il soit, un ami ou un amour pour sortir et ne pas rester centré sur soi-même. Pour reprendre la question des réseaux sociaux, le problème est que l’on n’a pas un vrai rapport avec l’autre, nous ne nous trouvons pas dans un vrai contact. Un des enseignements du film, c’est de montrer qu’il faut arrêter de se regarder le nombril et surtout la nécessité de s’ouvrir, de faire qqch, même si ce n’est pas forcément ce que l’on voulait faire à la base.

N’est ce pas paradoxal de voir que c’est lorsqu’Emma Peeters est au bout du rouleau qu’elle s’ouvre enfin aux autres ?

C’est justement parce qu’elle a lâché la pression, qu’elle n’a plus rien à attendre et que dès lors elle peut pleinement vivre dans le présent, que son horizon s’ouvre. C’est quasiment une stratégie de vie de se dire de ne plus se soucier du lendemain pour ainsi enfin découvrir les autres.

Un autre thème abordé dans le film est celui du jeunisme, de l’obsolescence programmée des acteurs. Ressentez-vous cette pression dans votre entourage ou le trait est-il grossi dans le film ?

J’ai toujours été obsédée par l’âge et le fait de devoir accomplir quelque chose avant un certain âge. Dès la sortie de l’école de cinéma, je me comparais avec d’autres réalisateurs pour voir si j’avais encore du temps, si j’étais en retard par rapport à eux. Lorsqu’on veut devenir acteur, je crois qu’il faut avoir été remarqué avant 35 ans, avoir déjà fait qqch. Débuter à 35 ans en tant qu’acteur, c’est impossible.

La problématique est-elle plus aigüe pour les actrices ?

Les acteurs ont plus facile à percer car il y a moins de candidats à la base et il y a aussi beaucoup plus de rôles, que ce soit au théâtre ou au cinéma. Si on prend un drame de Shakespeare par exemple, l’immense majorité des rôles sont écrits pour des hommes. Pour les femmes, s’ajoute bien entendu le problème des canons de beauté à respecter.

Pourquoi avoir pris des acteurs qui, selon les critères d’une comédie romantique, sont dans la moyenne (ni trop beau, ni trop charismatique) ?

Je voulais faire une comédie romantique pour ceux qui n’ont pas droit aux comédies romantiques. Selon moi, mes personnages sont originaux et atypiques, c’est l’histoire d’un couple décalé qui se rencontre. Ils ont des personnalités opposées, Emma est psychorigide et Alex est plutôt en roue libre, mais ils sont faits l’un pour l’autre. Et les deux acteurs qui jouent Emma et Alex ont également des personnalités et des techniques de jeu très différentes.

Comment dirige-t-on les acteurs sur un tournage ?

Les techniques s’apprennent par l’expérience ou via des stages, mais il faut suivre son instinct quand on est sur un plateau. Chaque acteur a des techniques et des besoins différents, certains demandent qu’on les nourrisse avant une scène et d’autres veulent un silence complet, et c’est ce qui rend les choses plus complexes. Avec les acteurs principaux, on peut prendre en compte leurs remarques par rapport au scénario et faire des adaptations, préciser ses intentions, ce qui est moins le cas avec des acteurs secondaires.

La musique tient un rôle important dans ce film. Comment choisit-on les musiques d’un film ?

On choisit en premier lieu son compositeur, dans ce cas-ci Robert Marcel Lepage, un clarinettiste de formation, avec qui le contact s’est établi très facilement. Je lui ai fait écouter les références que j’avais, qui était justement les musiques de la nouvelle vague, et avant le tournage, il m’avait déjà envoyé 10 maquettes de musiques que lui avait inspirées le film. Lors du tournage, ma monteuse a déjà fait des essais et par la suite, il a encore fait un gros travail en enregistrant les musiques avec un jazz band et des violons. Il y a d’ailleurs des artistes belges dans le film, notamment dans la scène du bar, et aussi Mustii, qui tient également un rôle dans le film.

D’où l’importance de s’entourer des bonnes personnes…

Au départ, il faut avoir une bonne idée, mais par la suite, le secret, c’est de s’entourer de gens qui comprennent et partagent cette idée. On peut bien entendu aller plus en détails dans un processus en particulier en fonction de ses affinités. Jouant moi-même du piano, je suis plus attentive au son et à la musique. Selon moi, le rythme ainsi que l’émotion d’un film viennent du son, de la voix des acteurs. Par contre pour l’image, je me suis beaucoup plus reposée sur mon chef-opérateur canadien, Tobie Marier-Robitaille, qui a fait un travail superbe.

Que conseilleriez-vous aux jeunes ? Comment faire pour mettre en scène leurs idées ?

L’avantage qu’ils ont par rapport aux générations précédentes, c’est qu’ils peuvent réaliser un premier court-métrage avec très peu de moyens, une carte de visite leur permettant de rencontrer un producteur. Après c’est une question d’acharnement, de conviction, de volonté.

Tes projets pour le futur ?

Je travaille sur une prochaine comédie qui aborderait le thème du féminisme et la question de comment devenir une femme, avec une approche similaire au film Boyhood.