Paci, tome 1 : Bacalan

paci dargaud couverture

auteur : Vincent Perriot
éditions : Dargaud
date de sortie : mars 2014
genre : Polar

Pas sûr qu’on aimerait croiser Pacifique Shimé, dit Paci, en liberté conditionnelle après un passage en prison pour trafic de drogue, la nuit au coin d’un bois. Grand noir baraqué peu causant à la coiffure rasta et aux tatouages ethniques, au flegme teinté de mystère, le héros de la trilogie du jeune Vincent Perriot, nous échappe autant qu’il nous apparaît, comme si le narrateur le saisissait d’abord de biais. Durant les quelques mois où son bracelet électronique l’attache encore à son ancienne vie, Pacifique semble disposé à ne pas faire de vagues et à se ranger.

Mais dès les premières pages, c’est bien le contraste entre cette discrétion et la sombre aura du personnage que laisse deviner Vincent Perriot : loin de n’être qu’un délinquant banal décidé à se faire oublier, Pacifique, comme le laisse imaginer son nom improbable, est du côté des poètes et des ténèbres, des mystiques et des sages, de la mer et du feu, de ceux dont la force s’impose sans le besoin des mots. Ce sont les autres qui nous l’apprennent – Pacifique, lui, a besoin de silence pour que son charisme opère – : « il t’apprendra tout », dit de lui un jeune garçon à la jeune fille tombée sous son charme ; « ce mec est une légende », résume son pote du chantier. Pacifique, c’est le type qui parle aux chevreuils blessés (et après, le chevreuil se réveille – ça marche aussi avec les toxicos au bord de l’overdose), qui a une bague tatouée à l’annulaire pour signifier son alliance avec le diable, qui fait découvrir Rimbaud aux ados désœuvrés : le poète porté à l’analyse des rêves avec décodage de la place qu’y occupent les animaux et les démons et à l’autodafé des livres après lecture. Pas un poète à fleurs et à chichis, attention : c’est un mec, un vrai, un solitaire drogué à la vitesse (il sait faire des remarques sur les pneus et les embrayages), capable de lancer quelques phrases bien viriles quand les circonstances l’imposent et de défoncer la voiture de ses adversaires quand ils veulent le faire replonger du côté obscur. En somme, Pacifique peut nous agacer, par le romantisme noir trop appuyé qui l’entoure, par la fascination aux accents adolescents que tente parfois peu subtilement de faire partager l’auteur pour la dimension d’albatros baudelairien exilé dans un monde hostile de son héros.

Si l’ensemble est donc parfois un peu prévisible et démonstratif (on devine que la rédemption viendra par l’Amour et par l’Art), si l’empathie pour le héros est freinée par le mythe que Perriot veut trop clairement développer autour de lui, et qui, on l’espère, se dissipera dans les prochains tomes pour nous le dévoiler plus en profondeur, l’auteur sait incontestablement jouer des rythmes et installer un climat.

La BD fait alterner deux temporalités autour d’une structure qui traduit bien la liberté précaire de Paci, symbolisée par son bracelet électronique : le quotidien de la réinsertion sociale est régulièrement perturbé par les tentatives du milieu de la drogue pour reprendre Paci dans ses filets. La BD fait donc alterner le réalisme banal de la vie de tous les jours, les discussions avec les collègues, le sommeil, les repas, les rencontres, les soirées, et les scènes où le héros est rattrapé par les voyous et s’efforce de leur résister. D’un côté, le lent passage du temps, marqué par une attention accordée aux décors immobiles, de l’autre l’action haletante, la vitesse, le mouvement qui déforme le monde alentour. La force de Paci réside dans la coexistence de ces mondes et de ces rythmes et par la capacité qu’a le dessin d’exprimer leur spécificité. Vincent Perriot transmet des impressions et évoque une atmosphère avec brio : son regard est attentif à l’espace, accentuant l’écart entre la vaste étendue des ciels, de la terre et des arbres et l’exiguïté des lieux encombrés où vivent les personnages, mobilhomes, préfabriqués, voitures. Les paysages extérieurs ont la moiteur, la langueur et l’exotisme de pays lointains, alors qu’on est à Calais ou à Bordeaux ; les intérieurs désordonnés, débordant de livres et d’objets, évoquent de bizarres cabinets de curiosité. Cette sensibilité au paysage, cet appel de la nature et de l’espace dans un milieu interlope à l’horizon brumeux, la diversité de points de vue parfois très cinématographique qui traduit une étonnante capacité de l’auteur à regarder le monde autour de lui, ainsi que les déambulations de quelques personnages secondaires auxquels on sent qu’on pourra s’attacher – ados qui traînent, jeunes filles un peu paumées, dealers à l’air triste – font l’intérêt de ce premier tome. Finalement, c’est quand Vincent Perriot s’éloigne un peu de son héros qu’il est le plus fin, le plus libre et le plus personnel : comme si le magnétisme et la force qu’il veut donner à son protagoniste lui coupait le souffle. On espère une chose pour la suite de la trilogie : que Perriot se libère un peu de Paci à mesure que celui-ci se libèrera de son passé trouble, pour mieux nous toucher.

A propos Emilie Garcia Guillen 113 Articles
Journaliste du Suricate Magazine

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