Oublier Bucarest de Victor I. Stoichiță

oublier bucarest couverture

auteur : Victor I. Stoichiță
édition : Actes Sud
date de sortie : octobre 2014
genre : Historique, autobiographie

Au début de l’oubli, il y a le souvenir. Celui de ce jour de 1956, à Bucarest, lorsque le narrateur de sept ans célèbre avec sa famille la libération de son oncle et de son grand-père. Il y a les réminiscences de la vie sous la République Populaire de Roumanie, quand  la « camaraderie politique » désinfecte le pays de l’esprit bourgeois. Il y a les histoires des trajectoires familiales heureuses et malheureuses. Il y a les émois et les engouements : l’amour de l’art et de l’histoire, le goût du twist et du rock, l’intérêt pour les filles. Il y a l’espoir continu d’une ouverture sur l’Ouest, jusqu’à cette première année d’université où la rumeur prétend que l’on distribue des bourses pour l’étranger. Mais surtout il revient l’incertitude lorsque l’été 1968 met fin au Printemps de Prague.

En nous ouvrant la porte de l’appartement familial, Stoichiță nous fait parcourir les convulsions de l’Europe de l’Est – le régime communiste roumain, l’insurrection de Budapest, le printemps de Prague, l’arrivée au pouvoir de Ceaușescu – et nous montre ses implications quotidiennes. Malgré la gravité de certaines situations, on rit presque de leur inconcevabilité: se faire déposséder de son logement au profit d’un fonctionnaire du Parti (« Ils sont entrés par effraction, c’est sûr, mais vous n’auriez pas dû permettre qu’ils rentrent ») ou se voir inviter à participer à un stage de « travail volontaire obligatoire ».

En dépit de ce climat totalitaire, élevé dans une famille cultivée de scientifiques et d’artistes, le narrateur évolue dans un environnement stimulant. Le rideau de fer ne peut totalement y occulter la libre-pensée et les plaisirs de l’Ouest, comprenant indistinctement les Beatles (« We all live in a yellow submarine ! ») et Le degré zéro de l’écriture de Roland Barthes.

Critique d’art et historien, l’auteur livre un point de vue éclairé à son public. Lecture faisant, nous prenons conscience que les nationalismes et les frontières sont certes des abstractions, mais dont les conséquences sont tangibles. En témoigne la région de la Transylvanie où se mêle le passé des populations autrichiennes, hongroises et roumaines. Le lecteur (re)découvre aussi que l’Histoire est constituée d’histoires, celles que les dirigeants et/ou leurs peuples veulent (se) raconter, moulant à loisir des versions alternatives dans la glaise du révisionnisme. Il en est ainsi pour la Roumanie qui, après avoir cultivé son appartenance à « la grande famille des peuples slaves » dans un élan communiste, découvre au tournant des années 60 « ses vraies racines historiques » et son statut d’« avant-poste de la latinité dans l’Europe de l’Est ».

Fidèle au genre (auto)biographique, même s’il ne se présente pas comme tel, Oublier Bucarest a cette saveur particulière des souvenirs au passé simple. On sourit devant la fierté mal placée de Omama et ses ridicules leçons de piano et d’allemand combinés, on s’émeut de l’indéfectible tendresse maternelle, on s’attriste de la destinée de tante Margot, etc. Néanmoins, la madeleine perd de son moelleux dans le dernier quart du livre, lorsque le ton devient plus érudit à mesure que l’auteur détaille sa formation intellectuelle.

Il n’empêche, en nous donnant à partager l’histoire de sa jeunesse dans une famille aimante et dans un quotidien politique incertain, Victor I. Stoichiță révèle une facette humaniste de la Roumanie et démontre qu’au XXème siècle le soleil se levait aussi à l’Est.

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