Neruda, ennemis rêvés

Neruda

de Pablo Larraín

Drame, Biopic

Avec Gael García Bernal, Luis Gnecco, Alfredo Castro, Pablo Derqui, Alejandro Goic

Sorti le 4 janvier 2017

En six films, le chilien Pablo Larraín a posé une ligne bien définie dans sa filmographie et un projet global, celui de parler de son pays et de ce qui sous-tend sa culture et son histoire politique, par des biais différents. Après s’être intéressé au rôle majeur d’un publicitaire dans la chute de Pinochet avec No et aux prêtres pédophiles avec El Club, il s’attaque à une figure mythique indéboulonnable du Chili, le poète et homme politique Pablo Neruda.

Le film retrace la chasse au sorcière anti-communiste dont il fut victime ainsi que sa fuite, dès 1948, tandis qu’un inspecteur de police déterminé tentait à tout prix de lui mettre la main dessus. Là où l’on pouvait s’attendre à un film pesant et appuyé sur cette statue du commandeur qu’est Neruda – le précédent film de Larraín (El Club) étant, il faut le dire, dans une tonalité assez lourde – le film surprend par le traitement de ses personnages et surtout par son dispositif, qui retourne le problème pour apporter un éclairage inédit sur cet épisode historique.

D’emblée, le récit de ce jeu du chat et de la souris entre Neruda et l’inspecteur Óscar Peluchonneau est introduit par la voix-off – non pas de l’écrivain – mais bien du policier, assez vite présenté comme un illustre inconnu, un homme moyen et médiocre que l’histoire a oublié. Au fil des séquences et des scènes de fastes et d’excentricités en tous genres mettant en scène Neruda, il apparaît petit à petit que le point de vue du film, et que la vision qu’il présente du poète ne relève pas tant d’une vérité historique objective que d’une idée fantasmée que se fait de lui Peluchonneau, ancrée dans une certaine peur des artistes et du communisme.

Mais là où le film atteint une dimension presque philosophique, c’est lorsque l’on se rend compte que Peluchonneau n’est peut-être lui-même que le fantasme qu’a Neruda sur le policier borné qui le poursuit. Ainsi, les deux hommes ne seraient que deux figures rêvées, deux personnages de fiction, deux fantômes qui jouent à cache-cache, dévoilant le côté absurde de la chose – selon le point de vue singulier qu’en donne Larraín.

Le style visuel du cinéaste – utilisation du contre-jour, de filtres assombrissant ou déformant, grand angle, etc. – apparaît alors en total phase avec le propos du film, et enfin plein de sens. Neruda est probablement son meilleur film, servi par un Gael García Bernal aussi magistral que grotesque en policier pathétique, et encore rehaussé par un climax final allant chercher du côté du western crépusculaire et métaphysique.

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