Moonlight, du grand cinéma pour un portrait intimiste

Moonlight

de Barry Jenkins

Drame

Avec Alex R. Hibbert, Ashton Sanders, Trevante Rhodes

Sorti le 1er février 2017

De son vivant, le célèbre critique américain Roger Ebert avait pris pour habitude de qualifier les films de « machines à empathie ». C’était sa manière à lui de décrire un des pouvoirs du cinéma, celui de nous amener à nous identifier à des personnages aux vies différentes des nôtres. Avec son deuxième long-métrage, Moonlight, Barry Jenkins nous propose une remarquable démonstration de cette machine. Construisant son récit autour de Chiron, un jeune homme noir et gay qui grandit dans un quartier pauvre de Miami, il nous plonge avec poésie et panache visuel dans l’expérience de vie de ce personnage.

L’existence menée par Chiron n’est pas particulièrement heureuse. Il évolue dans un environnement qui lui est le plus souvent hostile – généralement en raison de sa sexualité – et souffre de ne pas y trouver sa place. Tandis qu’il peine à se construire en temps qu’individu, et à préserver son identité, ceux qui l’entourent s’empressent de réduire sa personnalité au travers de quelques nominatifs : lorsqu’on ne le traite pas de « faggot », on lui attribue divers surnoms, tels que «  Little » ou « Black », faisant finalement assez rarement usage de vrai nom, Chiron.

Ces patronymes sont aussi les titres sous lesquels Moonlight présente ses trois actes, chacun consacré à une période charnière de la vie du personnage. On fait d’abord sa rencontre lorsqu’il n’est qu’un garçon d’une dizaine d’années surnommé « Little ». Malheureux et solitaire, il reprend possession de son nom à l’adolescence. Le frêle jeune homme est toujours malmené par ses camarades de classe, mais aussi par ses désirs. Une fois adulte, il est « Black », un homme physiquement fort différent du petit garçon fébrile qu’on a connu, mais dont les sourires involontaires ont toujours la même candeur enfantine.

Trois acteurs différents se succèdent pour l’incarner – Alex Hibbert, Ashton Sanders et Trevante Rhodes – et on ne peut qu’être admiratif de la façon dont leurs performances se complètent les unes les autres. Ces interprètes, et le reste du talentueux casting, sont essentiels au film, à la fois parce qu’ils renforcent sa cohésion, mais également parce que Moonlight est une oeuvre dans laquelle la nature des personnages se révèle au travers du physique. Chiron est une personne qui parle peu et intériorise beaucoup, mais il suffit d’un regard ou d’un mouvement de sa main pour comprendre les sentiments qu’il réprime.

Quand il choisit d’adopter une masculinité performative pour obtenir le respect de ses pairs, il ne fait pas de doute que c’est au détriment de son identité. Même les forces positives de sa vie l’attirent dans des directions contradictoires. Son père de substitution (Mahershala Ali), par exemple, est une figure paradoxale : il fait preuve à l’égard de Chiron d’une décence et d’un respect que l’enfant a peu connus dans sa vie, tout en occupant un rôle majeur dans son malheur puisqu’il vend régulièrement de la drogue à la mère de celui-ci (Naomi Harris).

Même si Moonlight s’ancre dans une dure réalité, c’est un film rempli rempli de moments de grâce, qui saisit avec talent la beauté des quartiers pauvres de Miami, plutôt que de se complaire dans le misérabilisme. Si dans leur volonté d’impressionner le spectateur Barry Jenkins et son chef opérateur, James Laxton, font parfois appel à des mouvements de caméra trop ostentatoires, on ne saurait leur en tenir rigueur, tant la réinvention constante du dispositif cinématographique nous rapproche de l’intimité de Chiron, canalisant ses épreuves et son ressenti dans une expression poétique. Au travers de ce travail formel, c’est toute la nature du personnage que le film cherche à saisir : son douloureux désir, ses souffrances, mais aussi son plaisir lorsqu’il reçoit de l’affection.

À la fois prodigieusement beau et douloureusement réel, Moonlight est une puissante expérience qui nous place dans la peau de son protagoniste. Qu’il se fasse appeler Black, Chiron ou Little, son bien-être est une inquiétude profonde pour le spectateur – si bien que la conclusion du film semble presque arriver trop tôt. Sa vie n’est pas une vie qu’on est prêt à mettre de côté.

A propos Adrien Corbeel 46 Articles
Journaliste du Suricate Magazine

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