McQueen, un extraterrestre de la mode parti trop tôt

McQueen
de Ian Bonhôte et Peter Ettedgui
Documentaire
Sorti le 7 novembre 2018

Couturier surdoué mais homme torturé, Lee McQueen est raconté de manière intime dans un nouveau documentaire au format de long-métrage, sur fond d’interviews, d’images d’archives et de films amateurs des années 90 et 2000. Ses proches témoignent du parcours exceptionnel de ce génie de la mode britannique, à l’imagination débordante et incontrôlable, au destin grandiose et controversé mais aussi tragique.

Présenté en cinq actes dans une esthétique digne des génériques des séries HBO, McQueen retrace les débuts difficiles d’un adolescent fauché et surdoué dans le stylisme dans les années 80, l’escalade vers ses créations folles et son succès, jusqu’à sa chute brutale en 2010 lorsqu’il se suicide la veille des funérailles de sa mère. Par des témoignages émouvants, sa famille, ses collaborateurs, ex-compagnons et amis racontent son apprentissage chez des tailleurs londoniens, puis son départ en Italie pour essayer de se former davantage et son entrée à la prestigieuse école Saint-Martin de Londres. Très vite, le jeune homme crée sa marque Alexander McQueen mais l’argent lui manque en permanence. C’est alors que le destin joue en sa faveur, puisqu’en 1996, il fait son entrée dans la cour des grands chez Givenchy, qui lui passe les commandes de la direction artistique. Il n’a alors que vingt-sept ans.

Des mises en scène controversées

Anticonformiste, Lee ne veut pas se plier aux tendances classiques de la marque parisienne et ses créations choquent, la critique impitoyable de la mode ne l’épargne pas. Selon ses proches collaborateurs qui l’ont suivi dans cette folle aventure outre-manche, cette expérience éprouvante au sein de la prestigieuse maison de haute couture marque le début d’une ère plus sombre, durant laquelle il ne cesse d’aller toujours plus loin dans la provocation. « Je m’en fous de ce qu’on pense de moi », déclare-t-il. Armé de ciseaux, il ne se donne aucune limite et n’hésite pas à couper dans les codes de la mode. Depuis ses débuts, il s’inspire de tout ce qui l’entoure, la nature, l’Histoire et la politique, qu’il interprète de manière totalement détournée pour atteindre des sommets dans la provocation et la mise en scène lors de ses défilés. C’est notamment le cas avec sa collection automne-hiver 1995-1996, The Highland rape, où il dénonce les viols des femmes écossaises par l’armée anglaise au 18ème siècle. Les mannequins défilent dans le chaos, à moitié nues, aux vêtements déchirés et teintés de sang. Mais le scandale ne l’arrête pas. Technologies, guerres ou surconsommation, le couturier virtuose continue à critiquer la société qui l’entoure en imposant des créations toujours plus macabres et choquantes. Car c’est cela qu’il veut : provoquer des émotions, pousser le spectateur dans ses retranchements, l’écœurer ou pourquoi pas l’émerveiller.

Une destruction annoncée

Que l’on soit passionné de mode ou non n’a ici aucune importance. Au-delà du côté artistique, le documentaire montre aussi l’ambivalence d’un homme qui, d’apparence ordinaire, bouillonne d’émotions et sera rapidement rattrapé par ses addictions, ses traumatismes d’enfance et son hypersensibilité. Bien qu’on aimerait voir Lee davantage, Ian Bonhôte et Peter Ettedgui réussissent à nous le présenter sans artifices et de manière très émouvante grâce aux témoignages. Sa sœur, son neveu, ses assistants, sa maquilleuse notamment montrent leur amour et l’admiration qu’ils portent encore aujourd’hui à cet homme attachant et tourmenté.

Au fur et à mesure, le rythme s’accélère, une tension destructrice s’installe à l’écran mais aussi dans la salle. C’est le récit d’une mort annoncée. « Je pense que ma vie ferait un bon film, j’ai une vie chaotique », déclarait Lee dans le documentaire Le Testament d’Alexander McQueen de Loïc Pigeant, produit par Arte en 2015. En effet, Lee McQueen était plus qu’un couturier talentueux, sa vie singulière méritait d’être racontée. Dans un style très soigné, McQueen taille le portrait sur mesure d’un être à part qui a marqué au fer rouge le monde de la mode et toute une génération d’artistes.

A propos Déborah Neusy 27 Articles
Journaliste du Suricate Magazine