Mary Poppins, 50 ans après

Dans le cadre de la réédition du 23e long-métrage de Disney, Mary Poppins pour fêter les 50 ans de sa sortie en Europe, c’est l’occasion pour nous de revenir sur la création de ce film de légende et des mythes qui en ont découlé. De la publication des romans de Mary Poppins, la vie de sa créatrice P.L. Travers, la difficile collaboration entre Disney et la romancière qui fut l’objet d’une adaptation cinématographique Dans l’ombre de Mary, la création du film avec le choix des acteurs jusqu’à la réalisation et l’utilisation d’effets spéciaux très avancés pour l’époque. De nombreuses personnes qui étudient le cinéma, regardent encore ce chef-d’œuvre avec une admiration mêlée de respect. Un film que seule la machine Disney pouvait tenter de créer dans les années 60, eux seuls ayant, sinon la totale maîtrise, du moins une grande expérience dans le domaine approfondissant le sujet dans de nombreuses réalisations antérieures. Un article édifiant qui vous prouvera que tout ce que vous pensez savoir n’est que la partie immergée de l’iceberg. Mary Poppins n’a décidément pas fini de nous faire rêver !

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P.L. Travers et Mary Poppins

Pamela Lyndon Travers, de son vrai nom Helen Lyndon Goff est née le 9 août 1899 à Maryborough (Queensland, Australie) et décédée le 23 avril 1996 à Londres. Ex-actrice et ancienne journaliste australienne reconvertie en écrivain, Mary Poppins est son premier roman. Il est publié en 1934 et rencontre directement un immense succès à travers le monde où il sera traduit dans plus de 20 langues. Pamela Lyndon Travers a en fait écrit une série de huit livres mettant en scène la gouvernante au parapluie à tête de canard, le dernier de la série paraissant en 1988. Seulement quatre d’entre eux furent traduits en français et actuellement, il n’en reste que deux encore disponibles en librairie : Mary Poppins et Le retour de Mary Poppins publiés respectivement en 1934 et 1935.

P.L. Travers est un personnage complexe et assez étrange. Fille aînée d’un père directeur de banque originaire d’Irlande et d’une mère féministe (Mary Poppins semble à bien des égards autobiographique), elle a vécu semble-t-il, une enfance assez compliquée et pour le moins chaotique. Son père meurt alors qu’elle n’a que 7 ans et c’est désormais elle qui s’occupe de ses deux petites sœurs, sa mère se désintéressant d’elles. En 1924, elle décide de partir pour l’Angleterre pour entamer une carrière d’écrivain. Mary Poppins sera son premier succès littéraire mais elle écrira également des recueils de poèmes ainsi que des essais et d’autres romans.

Pamela Lyndon Travers est une personne revêche, campant sur ses positions, et ayant une très haute estime d’elle-même. Sa vie privée ne fut pas un modèle d’équilibre : on lui connait une relation orageuse avec un homme marié. On sait aussi qu’elle vécut de longues années avec une femme, Madge Burnans, sans que l’on ne sache avec certitude la nature exacte de cette relation. À l’âge de 40 ans, elle part en Irlande pour adopter un petit garçon mais pas son frère jumeau. Elle ne se maria jamais.

En 1964, sort l’adaptation cinématographique de Mary Poppins par Walt Disney, après près de 20 ans de négociations. Si le film rencontre un énorme succès, P.L. Travers le déteste. Sortant de la projection en larmes, elle n’aura de cesse de tout faire pour empêcher la sortie de cette version de Mary Poppins, heureusement, sans succès. Cette collaboration orageuse avec les studios Disney l’aura profondément déplu à tel point que dans son testament, elle interdit toute autre adaptation de son œuvre en comédie musicale, demande que plus aucun artiste américain ne change ce qu’elle avait écrit et enfin, exigera que plus aucun droit ne soit vendu à Disney ou à tout autre de ses collaborateurs, rendant toute suite impossible.

La cessation des droits d’adaptation du roman à Walt Disney

C’est dans les années 40 que Walt Disney découvre pour la première fois Mary Poppins. Il fut attiré par des rires dans la chambre de ses deux filles. Lorsqu’il demande à sa fille aînée Diane si cette histoire lui plaît, elle lui répond évidemment par l’affirmative et lui demande d’en faire un dessin animé. Quelques jours plus tard, c’est sa femme qu’il découvre en train de rire pendant la lecture du même roman. Sur leurs conseils, il se plonge dans l’œuvre de P.L. Travers et fait la connaissance de sa jeune gouvernante aux pouvoirs magiques surprenants et inattendus, qui embellit la vie d’enfants dont les parents se désintéressent. Il est bien vite convaincu du potentiel de l’histoire et tente par tous les moyens d’en obtenir les droits dans le but d’en produire une adaptation cinématographique.

Walt Disney ne tarde pas à se rendre compte que la romancière possède un caractère difficile et qu’elle a déjà refusé une première fois que son œuvre soit adaptée au cinéma par Samuel Goldwyn : Pamela L. Travers est convaincue qu’aucun film ne pourrait rendre justice à son personnage. En 1944, Walt envoie son frère Roy pour une première négociation qui échoue au motif que l’auteur ne conçoit pas son roman comme un dessin animé. Disney lui propose alors d’adapter son roman en prise réelle, mais elle refuse à nouveau. Durant les 16 années suivantes, Walt Disney réitéra de nombreuses fois sa demande pour convaincre P.L. Travers, mais celle-ci refusa catégoriquement toutes ses offres.

Finalement, ce n’est qu’en 1959 qu’il obtient son approbation mais, ne voulant pas prendre de risque, elle ne lui concède d’abord qu’une option sur les droits des livres et de plus, assorti de certaines conditions : elle pourra choisir le rôle-titre et gardera un droit de regard sur le scénario qu’elle seule pourra valider ; une première pour le studio. En 1961, P.L. Travers décide de venir se rendre compte par elle-même du travail accompli sur l’adaptation mais n’aime pas du tout ce qu’elle découvre. Extrêmement exigeante et autoritaire, elle demeure intraitable refusant que l’on change quoi que ce soit à son histoire. Mais Walt Disney ne se laisse pas décourager et insiste encore. Walt Disney finit enfin par obtenir l’accord de l’auteur qui donne son feu vert mais toujours assorti des mêmes conditions : elle garde un droit de regard sur le film et devient consultante.  Le cinéaste aura mis près de 20 ans à la convaincre.

Cette longue durée de négociation a fait l’objet d’un joli film, assez romancé, intitulé Dans l’ombre de Mary (Saving Mr. Banks). Présenté au Festival du film de Londres en octobre 2013, il a été réalisé par John Lee Hancock avec dans les rôles principaux, Tom Hanks et Emma Thompson, respectivement Walt Disney et P.L. Travers.

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La genèse d’un film devenu culte

Dès septembre 1960, alors qu’il n’a encore qu’une option sur les droits du roman et ayant décidé de faire de Mary Poppins une comédie musicale, Walt Disney ne perd pas de temps : il confie le développement du film à Don DaGradi qui participa entre autre à l’animation de Cendrillon et Alice au Pays des Merveilles et au scénario de La Belle et le Clochard. Ensuite, il contacte les frères Richard et Robert Sherman à qui il désire confier l’écriture et la composition de la bande originale du film. Lors de leur première rencontre sur ce projet, il leur donne un exemplaire de Mary Poppins pour qu’ils puissent choisir les chapitres sur lesquels ils aimeraient travailler… qui se révèleront être les mêmes que ceux que Disney avait lui-même sélectionnés. L’histoire de Mary Poppins étant construite sur base de chapitres qui n’ont pas de liens entre eux, l’équipe décide de construire une histoire plus cohérente et suivie, sur le thème des enfants délaissés par leurs parents plus occupés par leurs affaires. Le développement du film durera deux ans et demi : les frères Sherman composent, Don DaGradi retravaille l’histoire et construit un storyboard très détaillé tandis que Walt Disney suit de près les avancées du projet toutes les deux semaines. La version définitive sera ensuite confiée à Bill Walsh pour la rédaction.

En février 1961, P.L. Travers est invitée à considérer les avancées du projet et à donner son approbation à ce qui avait déjà été réalisé. Elle découvre alors le personnage de Bert, beaucoup plus développé que dans son roman. Mais le pire, c’est que le caractère de son personnage fétiche qu’elle définit comme « pas joyeuse, acerbe, tranchante, rude, entière et futile » a été fortement atténué la rendant bienveillante et attachante. Mais il est trop tard, le projet est tellement avancé qu’il n’est plus possible de reculer. Elle restera cependant ferme sur deux points : il ne doit pas y avoir de romance entre Mary et Bert et l’histoire doit rester ancrée dans l’époque édouardienne. Pour l’anecdote, elle essayera carrément d’interdire le rouge dans le film jusqu’à ce que Don DaGradi lui rappelle que c’est la couleur officielle des cabines téléphoniques, de la poste et des bus londoniens…

Le choix des acteurs principaux

Pamela L. Travers reçoit le script final en février 1963 avec les propositions de Walt Disney quant au choix des acteurs. Mais comme le stipulait le contrat, les acteurs devaient être en majorité anglais et l’approbation de l’auteur était nécessaire même si certains d’entre eux avaient déjà été choisis.

C’est la secrétaire de Walt Disney qui propose la première le nom d’une jeune actrice : Julie Andrews. En août 1961, le cinéaste se rend à New York pour la voir sur scène dans le spectacle Camelot où elle incarne la reine Guenièvre. Dès le lendemain, il lui propose le rôle mais elle refuse car elle est enceinte et attend l’approbation de la Warner Bros pour le premier rôle dans l’adaptation au cinéma de My Fair Lady. Disney lui propose cependant de visiter le parc Disneyland et d’engager son mari Tony Walton comme consultant pour les costumes du film. Elle rencontre alors les frères Sherman et séduite par leurs chansons, elle accepte le rôle d’autant plus qu’elle apprend que la Warner Bros lui a préféré Audrey Hepburn. Le fait que Julie Andrews sache siffler est aussi une des raisons de sa participation : c’est d’ailleurs elle qui doublera l’oiseau mécanique avec qui elle dialogue dans le film sur la chanson « Juste un morceau de sucre qui aide la médecine à couler ». P.L. Travers dira, après avoir rencontré Julie Andrews, qu’elle a « le bon nez pour incarner Mary Poppins ».

Pour le rôle de Bert, c’est finalement Dick Van Dyke qui obtient le rôle. Walt Disney, qui avait d’abord jeté son dévolu sur Cary Grant, le choisi après avoir vu une interview où l’acteur confiait qu’il voulait uniquement jouer dans des films qu’il pourrait regarder avec ses enfants.

Les effets spéciaux

La création des effets spéciaux par les studios Disney pour le film Mary Poppins, a été leur plus grand défi à relever et représente l’apothéose de la recherche de nouvelles innovations poursuivies durant les années précédentes. Pour donner des exemples concrets : 2001 L’Odyssée de l’Espace ne sera produit que cinq ans plus tard et on attendra 13 ans pour avoir le plaisir de visionner Star Wars.

Les studios Disney ayant une carrière déjà longue dans l’industrie de l’animation, étaient les seuls, à l’époque, à avoir une grande expérience dans la création d’effets spéciaux. Pour se rapprocher et coller le plus possible à l’univers débridé de Mary Poppins, la direction de ces effets fut confiée à Peter Ellenshaw, déjà une véritable légende dans l’industrie de l’animation (20 000 lieues sous les mers, L’île au trésor, Spartacus, L’Apprentie Sorcière). Toute son équipe défia les techniques du moment pour faire fusionner rêve et réalité en défiant toute rationalité et en créant de magnifiques scènes. Néanmoins pour Peter Ellenshaw, malgré son expérience et son talent incontestés, c’est Mary Poppins qui lui valut tous les honneurs grâce à ses nombreuses influences dans la direction artistique et surtout plus d’une centaine de ses peintures sur verre de style impressionniste qui serviront de décors à de nombreuses scènes et paysages.

C’est en Californie, dans les studios de Burbank réquisitionnés pour l’occasion, que le film est tourné exclusivement en intérieur parce que Disney voulait que les scènes soient construites au maximum sous la forme de décors théâtraux pour garder le plus possible l’aspect irréel auquel il tenait particulièrement. Pour l’anecdote, tous les arbres présents ont été apportés du Portugal et chaque feuille et fleur a été rajoutée à la main… ou complétés par des peintures et notamment celles sur verre de Peter Ellenshaw, ajoutés en postproduction. Ou encore, lorsque Julie Andrews arrive en volant, les câbles qui la retiennent sont enduits de cire à chaussure pour réduire les risques de réfraction des lumières des projecteurs. Pour le trucage des objets encombrants que Mary Poppins sort de son sac lors de son installation chez les Banks, il a été réalisé grâce à la superposition de deux plans : l’un avec les enfants filmés seuls dans le décor de la chambre, le second, Julie Andrews se trouve seule devant une table trouée avec le fameux sac posé dessus avec un fond orange, ancêtre du fond vert que l’on connaît et que l’on utilise toujours actuellement. Les caméras à la vapeur au sodium de l’époque enregistrent tout sauf l’orange et de fait, les objets apparaissent donc comme par magie.

Le dernier chef-d’œuvre et testament de Walt Disney

La première projection de Mary Poppins a lieu le jeudi 27 août 1964 au Grauman’s Chinese Theater à Hollywood. Le succès est total et le film a même droit à une standing ovation de cinq bonnes minutes… Mais Pamela L. Travers, en pleurs à la fin de la projection, est loin d’être satisfaite : elle déteste la séquence d’animation, et notamment la partie incluant les pingouins, ainsi que le personnage de Bert. Elle crie, se rebelle, mais rien n’y fera. Walt Disney la remet à sa place en lui disant qu’il est bien trop tard pour changer quoi que ce soit au film qui se révèlera être un des succès les plus important des studios Disney, tant celui-ci est acclamé par la critique et marque également le couronnement de la carrière de Julie Andrews.

Au total, parmi une foule d’autres prix, le film nommé 13 fois aux oscars en récolte cinq, ceux de Meilleure actrice, Meilleur montage, Meilleurs effets visuels, Meilleure chanson originale et Meilleure musique originale. C’est la première fois dans toute l’histoire du cinéma, que la bande son est récompensée à deux reprises ! De nombreux critiques considèrent Mary Poppins comme le dernier chef-d’œuvre de Walt Disney qui mourra deux ans plus tard d’un cancer des poumons dû, on le soupçonne, aux deux paquets de cigarettes qu’il fumait chaque jour..

Mary Poppins marque la fin d’une époque pour les studios Disney qui se recentrent désormais sur la production de film en prises de vue réelles utilisant l’animation pour rehausser l’histoire. Ils reproduiront ce mélange notamment dans deux autres comédies musicales : L’Apprentie Sorcière (1971) et Peter et Eliott le dragon (1977). Selon une certains observateurs, Mary Poppins est la réalisation cinématographique la plus personnelle de Walt Disney, celle à laquelle il accordera le plus de temps et d’attention, étant partout à la fois. De ce fait, Mary Poppins constitue le testament de Walt Disney, l’une de ses plus grandes réussites.

Conclusion

L’adaptation cinématographique de Mary Poppins était loin d’être gagnée d’avance. Outre le fait que Walt Disney mis dans cette production ce qui fut alors le plus gros budget de l’histoire du cinéma d’animation, il fut aux prises avec une romancière rigide, empêtré dans des négociations houleuses qui dureront près de 20 ans. C’est véritablement par miracle que Walt Disney à force de persévérance et de persuasion arrache l’accord à P.L. Travers. Qui regrette aujourd’hui que ce film ait pu voir le jour ? La seule qui ne fut jamais heureuse de cette adaptation fut sans conteste la romancière australienne qui jusqu’au bout refusera toute nouvelle adaptation de ces romans. Une manière d’agir étrange quand on sait le succès du film dès sa sortie auprès du grand public et les critiques élogieuses dont il fut l’objet. Walt Disney signera ici sa dernière réalisation, son testament animé à la poursuite de la promesse qu’il avait fait à sa fille il y avait déjà bien des années. Mary Poppins réveille le cœur des parents à l’imagination de leur enfance et les enfants sont émerveillés par ce monde magique qui a germé dans la plus improbable des personnes au caractère revêche et la moins attendrie par l’imaginaire de Disney. Toujours un magnifique film culte à revoir et revoir sans risque d’indigestion.

A propos Daphné Troniseck 254 Articles
Journaliste du Suricate Magazine

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