Making Men à l’Espace Magh : Ni homme ni femme encore

Conception, écriture & création : Harold George & Antoine Panier
Conseil Artistique : Vincent Kuentz
Danse : Harold George, Jipé Lukusa-Kankonda, Souleymane Sanogo, Tinashe Jeri, Tatenda Chabarwa, Peter Lenso, Carlton Zhanelo

S’il y a un spectacle à vivre dans sa vie, c’est Making Men. Absolument. Que l’on soit intéressé par les questions de genre ou non. Ce spectacle de danse, composé d’un court métrage et d’une performance sur scène, interroge la notion de masculinité. Il est présenté par la compagnie Dunia Dance Theatre dont Harold George est à la tête, en collaboration avec Antoine Panier.

Harold George et Antoine Panier se sont rencontrés à Bruxelles lorsqu’ils étaient danseurs. Leurs chemins se sont séparés, George s’orientant vers la création de chorégraphies et Panier vers la communication visuelle, avant de se recroiser il y a huit ans. Depuis lors, ils travaillent régulièrement ensemble. Vidéaste mu par le désir de travailler le mouvement par la caméra et le film de danse ; chorégraphe animé par l’envie de traiter le sujet de la masculinité : les deux artistes collaborent depuis quelques temps à la conception, l’écriture et la création de Making Men.

“J’ai choisi la danse car c’était l’activité la moins masculine que j’ai pu trouver.” Le film s’ouvre sur ces mots du chorégraphe, qui raconte sa perception du “danger face aux pièces du puzzle placées aux endroits convenus, quelle que soit leur forme”. Sa voix lie différents tableaux chorégraphiques marquant les étapes du développement d’hommes en devenir. La caméra d’Antoine Panier épouse les mouvements de quatre danseurs qui évoluent dans les décors naturels du Zimbabwe. Elle traduit leurs tensions et leurs moments de relâche. Elle vibre avec eux. 

Les artistes s’interrogent les uns les autres sur leur identité d’homme dans un ballet afro-contemporain époustouflant accompagné par des morceaux musicaux oscillant entre opéra et percussions africaines. 

Sur scène, les corps s’attirent, se repoussent. Ils se sentent, entretiennent leur proximité, parfois s’éloignent. Ils se portent, se soulèvent les uns les autres. Ils évoluent en choeur ou se meuvent dans l’espace selon des rythmes discordants. Avec force, avec sensibilité. Avec poésie.

Et dans la salle, les corps frissonnent.

Bien que le film et la performance se répondent, ils connaissent des découpages différents. Antoine Panier explique : “Il y a des chorégraphies et des morceaux de musique qui se retrouvent dans les deux. Maintenant, les ambiances sont très différentes. Un spectacle sur scène n’est jamais un film sur écran. Il y a des choses qu’on parvient à rendre avec une caméra et pas sur scène, et bien sûr l’inverse : sur scène beaucoup d’émotions passent. Les danseurs sont là en chair et en os, ils transpirent, ils soufflent, etc.

Le spectacle est riche d’énormément d’éléments. Il aborde notamment le rapport aux autres hommes, vécu tantôt dans la fraternité tantôt dans le rejet. Il fait preuve à la fois de beaucoup de sensualité et de souffrance. Le public rit, il s’émeut. Panier déclare : “L’idée était de travailler sur le ressenti. Qu’est-ce qu’on peut ressentir quand on est en conflit avec soi-même ? Ce ressenti, on le voulait dépourvu de tout environnement perturbant. On revient ainsi aux choses essentielles : le corps, les matières brutes comme l’écorce d’un arbre, des rochers, la terre, etc. On voulait que ce soit très dansé, très physique et surtout dépourvu de tout élément perturbateur lié à notre société.”

Ainsi, l’objectif est de retourner à l’essentiel, à ce moment où l’on n’est “ni homme ni femme encore”, comme en témoigne le texte introductif du film : “Alors je me retourne et me réfugie là où être n’est qu’être, toutes choses ressenties à travers le prisme étroit mais indompté du soi, carcan apparent mais pas encore en place […]”

Dans le même temps Dunia Dance Theatre collabore avec Dobet Gnahoré, une chanteuse et danseuse ivoirienne, pour le projet Femmes, tout simplement. Interroger ce qu’est être un homme, interroger ce qu’est être une femme, voilà deux projets qui se complètent bien. Harold George espère présenter les deux à l’avenir pour montrer ce cheminement commun. “Les artistes de ce projet sont aussi des femmes exceptionnelles. Donc ça peut être assez fort de voir les deux spectacles. Dobet avait déjà fait une ébauche et est venue vers moi pour me proposer de travailler ensemble. Jusqu’ici Femmes, tout simplement a déjà pris deux formes et peut-être qu’il y aura une troisième forme qui va accompagner les hommes.

Making Men ne propose aucune réponse aux questions difficiles de genre. Il invite plutôt le public à se les poser, à y réfléchir. Le programme de l’Espace Magh (qui accueillait la création les 28 février et 1er mars) promettait un débat qui n’a malheureusement pas eu lieu. Dommage. 

George et Panier ont déjà des pistes pour une reprise du spectacle à la saison prochaine, spectacle d’ailleurs lauréat de l’appel à propositions pour l’Éducation à la Citoyenneté Mondiale et Solidaire 2018 d’Africalia. Rendez-vous donc l’année prochaine pour aller l’applaudir debout !