Love and Money de Dennis Kelly au Poche

De Dennis Kelly, mise en scène de Julien Rombaux avec Sarah Espour, Gwendoline Gauthier, Sarah Lefèvre, Magali Pinglaut, Cédric Coomans et Philippe Grand’Henry, du 10 avril au 5 mai 2018 au Théâtre de Poche. Au Théâtre de l’Ancre du 15 au 18 mai 2018 et à la Maison de la Culutre de Tournai les 23 et 24 mai 2018Crédit photo Véronique Vercheval

Nous fait d’abord face un imposant portrait de la Vierge, cœur et artères bien visibles sur son drapé de madone. Un homme s’en approche, masse en mains, et sur les mesures solennelles de Haendel, assène sans retenue l’image de coups jusqu’à percer un trou béant de la tête au pied du buste.

Ainsi s’ouvre Love and Money, en iconoclaste affiché. Et s’il est clair que Marie n’est pas la seule à s’en prendre plein la gueule dans cette pièce made in Britain (Dennis Kelly), cette courte destruction reste le moment le plus percutant de sa mise en scène made in Belgium (Julien Rombaux).

Les six acteurs de la pièce (quatre femmes et deux hommes) se répartissent l’espace d’un double décor : d’un côté, une petite estrade aux tons foncés, de l’autre, une ambiance froide de salle d’attente, cernée de longs pans de rideaux blancs.

Il s’y tiendra une série de dialogues mettant à mal l’amour aux sentiments purs : dévotion et altruisme, honnêteté et confiance etc. Les différentes scènes suivent peu ou prou le même développement. À un départ en douceur, un sujet anodin et une cordialité prévenante, s’enchaine une révélation des intentions cachées où chacun dévoile progressivement à l’autre sa part inavouable. Si le monde du travail est pointé comme théâtre privilégié de ce genre de scènes, Kelly dépeint également l’un ou l’autre disfonctionnement au sein-même du couple. Pour toutefois adoucir un peu l’acidité de son propos, l’auteur glisse l’une ou l’autre intervention au ton plus idéaliste et romantique. Cynisme supplémentaire ou sincère contre-attaque, à vous de voir.

Le texte est clairement le nerf de la pièce et la mise en scène de Rombaux ne le concurrence pratiquement jamais. Cette approche frontale a parfois ses limites : pour peu qu’une histoire ne vous tienne pas en haleine, vous n’aurez pas grand-chose d’autre en attendant la suivante. L’ajout d’un seul élément pour soutenir ce qui passe parfois pour du simple récitatif aurait garanti une meilleure accroche.

Il en va ainsi pour le « dialogue de l’hôpital ». Lui l’y a rejointe après qu’elle y a amené un inconnu trouvé en rue sur le seuil de la mort. Au fur et à mesure de l’échange, l’empathie de l’homme cède à un soupçon de tromperie que ni le tragique de la situation ni l’évident traumatisme de sa compagne ne tempéreront. La scène prend le temps de resserrer petit à petit son étreinte perverse. On aurait cependant souhaité un élément de mise en scène supplémentaire pour lui conférer la dose d’asphyxie qu’elle mérite.

Love and Money n’apporte pas une eau démentielle au moulin du conflit sentiments/intérêts, mais elle cristallise avec justesse la problématique. De même que sa mise en scène sert honnêtement le texte sans pour autant le transcender. Il aurait pourtant suffi de peu pour en faire une pièce moins bavarde et plus percutante. À tout de même éprouver.