L’Insulte, un passé qui passe difficilement

L’Insulte

de Ziad Doueiri

Drame

Avec Adel Karam, Rita Hayek, Kamel El Basha

Sorti le 24 janvier 2018

Après avoir adapté à l’écran L’Attentat, le célèbre roman de Yasmina Khadra, Ziad Doueiri signe un nouveau film tourné au Proche-Orient à haute puissance dramatique. En revenant pour la deuxième fois sur les brûlures de l’histoire de son pays d’origine (après West Beirut en 1998), le réalisateur franco-américano-libanais fait sauter quelques verrous au passage. Il s’attaque aux tabous profondément enracinés dans la société libanaise depuis la guerre civile. D’une simple querelle de rue dans le Liban d’aujourd’hui, le conflit prend des allures d’affaire d’état et explore habilement les tréfonds de la mémoire collective.

Tout commence avec un incident autour d’une gouttière mal positionnée dans un quartier de Beyrouth. Yasser, contremaître réfugié palestinien responsable des travaux dans la rue, propose à Toni, un garagiste chrétien, de réparer son conduit défectueux. Stupéfait par le ton agressif de son interlocuteur, il essuie une fin de non-recevoir et contient difficilement son agacement. La situation s’envenime au point de se transformer en violente dispute qui conduira Toni à poursuivre Yasser en justice. S’ensuit une bataille juridique longue et difficile. L’affaire tourne à l’affrontement national. Le pays se déchire autour de ce conflit qui oppose bien plus que deux hommes.

Si au départ, la jauge d’antipathie de Toni (gavé d’informations toxiques aux relents racistes diffusées par la radio) est proche du maximum, le réalisateur Ziad Doueiri a tôt fait d’apporter des nuances à l’un de ces personnages principaux. C’est d’ailleurs la grande force du film, tracer une ligne poreuse entre les coupables et les non-coupables dans un conflit extrêmement complexe qui s’est déroulé de 1975 à 1990.

A travers des plaidoiries captivantes, le film distille habilement les souffrances et les rancœurs des uns et des autres. Rigoureux dans la montée de la tension dramatique et brillamment dialogué, le long-métrage L’insulte tient à la fois du thriller et du film de prétoire. Peu à peu, l’histoire revient sur les oubliés de la grande histoire. A la lumière des tristes événements de Damour, le film remonte aux origines de la haine au long cours que nourrit Toni à l’égard des Palestiniens. Il met en lumière son statut de réfugié dans son propre pays. Sans parti pris pour autant, le film reste sur une ligne de crête mais prend néanmoins la mesure des conflits internes qui minent le Liban, toujours meurtri par les tensions entre chrétiens libanais et réfugiés palestiniens. Face aux blessures non cicatrisées des deux minorités, Doueiri renvoie chaque camp à ses propres fautes et en appelle à leur compréhension mutuelle. Dans son film poignant, il est beaucoup question de reconnaissance, de dignité et de pardon. Et de réconciliation aussi.

Soutenu par une direction d’acteurs remarquables, le film dépeint avec réalisme la tension palpable entre ces deux communautés sur fond de conflit israélo-palestinien. Adel Karam est plus que convaincant dans la peau du chrétien haineux bafoué dans son honneur. Kamel El Basha a, quant à lui, reçu le prix très mérité de la meilleure interprétation masculine à la Mostra de Venise. Son interprétation tout en non-dit apporte une gravité certaine au récit.

Avec L’Insulte, Doueiri a frappé fort et juste. Il livre un film à la fois politique et humaniste, bien nécessaire en ces temps incertains où le Moyen-Orient demeure encore et toujours un volcan en éruption.